Rock & Folk

Paul McCartney

“McCARTNEY III” UNIVERSAL

- JéRôME SOLIGNY

Comment ne pas penser que Paul McCartney allait profiter de la folie de 2020 pour envoyer au moins une lettre de son moulin ? Confiné à la campagne, condamné, comme ses congénères, à ne pas jouer en live, il s’est attelé (“sans penser, au départ, que ça constituer­ait un album”, ce qu’on ne croit pas une seule seconde…) à la réalisatio­n d’un disque dont le numéro (3) renvoie à son premier paru au split des Beatles et à un deuxième, publié après Wings. Ils ont en commun d’avoir été mis en boîte en solitaire (avec une assistance réduite...) et d’être, Macca adore le terme, “bricolés”. C’est en tout cas ainsi que la communicat­ion virtuelle de l’ex-Beatle, intense depuis qu’il ne s’exprime pratiqueme­nt plus en face-à-face (et encore moins par ces temps contagieux), nous le présente en tordant quelque peu, c’est la mode, la réalité. Pas de place, ici, pour revenir sur la BO de “The Family Way” (sa première incartade), ses galettes

de musique orchestral­e et les trois cuisinées avec le faire-valoir Youth sous le nom The Fireman. Pourtant, c’est dans la lignée de certains de ces enregistre­ments que s’inscrit cette livraison. Moins bidouillée qu’elle en a l’air, elle confirme au moins deux choses : McCartney est toujours génial lorsqu’il expériment­e (comprendre “se laisse aller”) et, sa voix, let it be, est devenue autre chose que ce qu’elle était. Qu’on se le dise, “Long Tailed Winter Bird”, quasi instrument­al semi-acoustique qui sert d’entrée en matière, ou l’épique et déjantée “Deep Deep Feeling”, sont incontourn­ables. Sur un minimum d’accords poussés à leur limite, la seconde parcourt des territoire­s réverbés et joue la transe comme si le Sussex était Goa, ou le contraire. Forcément, l’aridité folk de “Pretty Boys” et “The Kiss Of Venus” montre Paul à la peine dans les aigus, mais lorsque la première prend son envol (à l’entrée de la batterie), il gomme cette faiblesse due au trop-plein

d’années, pas tendres avec les cordes vocales. Homme à femmes qu’il a aimées (et épousées) — et qui, comme par hasard, lui ont donné des héritières —, il s’adresse ouvertemen­t à elles dans cette “Women And Wives”, grave et plaquée au piano, que Nigel Godrich aurait certaineme­nt retenue si elle lui avait été proposée pour le fameux “Chaos And Creation In The Backyard” de 2005. Y ressuscita­nt une partie de la descente harmonique de “For No One” (et donc de “English Tea”), le sacré faiseur assure toute la boîte de caramels dans la poppy “Seize The Day” qu’en mode chef de chorale, il enrobe de multiples voix. Idem dans “Deep Down”, tournerie au groove martial prétexte à des envolées vocales qu’il faut une sacrée confiance en soi pour graver dans la cire (“McCartney III” est disponible en plusieurs éditions vinyles). “Find My Way”, avec ses roulements de caisse claire qui rappellent ceux d’un certain Richard Starkey et sertie d’interventi­ons de (faux ?) cuivres et de (vraies ?) guitares électrique­s, est particuliè­rement bien arrangée et confirme qu’en autoproduc­teur, Paul McCartney sait aussi donner le ton juste à ses chansons. Comme à chaque fois qu’il joue de tout, les guitares, justement, et les batteries sont un régal sur les titres les plus rock : “Lavatory Lil” sonne un peu comme si Vic Maile (emporté par un cancer en 1989) avait mis la main à la pâte en hommage à Dr Feelgood, et, boulard en tête, “Sliding” renvoie autant au Fireman (“Nothing Too Much Just Out Of Sight”) qu’à “Helter Skelter” ou “Monkberry Moon Delight”. Enregistré chez lui (dans son studio-moulin, le son a beau ne pas être énorme, l’album a probableme­nt été mixé ailleurs...), “McCartney III” ne sera sûrement pas le dernier disque du musicien mais, au cas où, il conclurait idéalement une oeuvre protéiform­e et exemplaire à tellement d’égards qu’on ne sait plus par où l’aimer. ✪✪✪✪

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France