Rock & Folk

“Quelques bonnes chansons, mais beaucoup trop d’amertume”

The Kinks

- NICOLAS UNGEMUTH

“LOLA VERSUS POWERMAN AND THE MONEYGOROU­ND, PART ONE – SUPER DELUXE EDITION” BMG/ Warner

1970. Les sixties sont finies, les Kinks sont rincés. Ils ont pourtant enchaîné quatre albums fabuleux : “Face To Face”, “Something Else By The Kinks”, “The Kinks Are The Village Green Preservati­on Society”, “Arthur (Or The Decline And Fall Of The British Empire)”. Les deux derniers, ambitieux autant qu’audacieux, sont des chefs-d’oeuvre auxquels le public n’a pas adhéré. Pire, ils n’ont eu aucun single ayant réellement percé dans les charts depuis “Waterloo Sunset”, alors que certains auraient mérité le succès (“Days”, “Autumn Almanac”, “Victoria”). Les frères Davies sont amers, d’autant qu’ils ont été interdits de tourner aux Etats-Unis et que leur maison de disques, le petit label Pye, n’a pas les moyens de leur offrir ce à quoi ont droit les Stones ou les Beatles à l’époque : des heures et des heures de studio, et beaucoup de promotion. Pye fonctionne artisanale­ment, les Kinks doivent travailler à l’économie. Leurs albums sont bricolés avec les moyens du bord — cette simplicité fait d’ailleurs le charme de leur discograph­ie à l’époque —, quelques titres étant enregistré­s par-ci par-là. Les délires sonores façon George Martin sont impossible­s et, d’ailleurs, sommesnous sûrs que Ray Davies en aurait voulu ? En 1970, donc, c’est un peu l’album de la dernière chance. Le disque sera aigri, vicieux, car Ray et Dave sont furieux après le business. Ils s’en prennent aux éditeurs (“Denmark Street”, la rue de la pop dans les sixties), aux émissions de télé et de radio qui font et défont les groupes (“Top Of The Pop”: “Life is great when your record’s hot”), et aux rats en général (le très teigneux “Rats” de Dave Davies). Le dernier morceau de l’album, “Got To Be Free”, résume parfaiteme­nt la situation. Avant cela, il y aura une giclée de chansons superbes : “Strangers”(de Dave), “Get Back In Line” (une défense incroyable des prolétaire­s britanniqu­es) et “Apeman”, qui auraient pu figurer sur “Arthur”, mais aussi “A Long Way From Home”, ou ce qui reste comme l’une de leurs plus belles compositio­ns, “This Time Tomorrow”, beauté à pleurer. Et puis, il y a le miracle : enfin, un tube ! Et quel tube… “Lola”, sa mélodie entêtante, ses paroles parfaites et la diction incroyable de Ray : “Well I’m not dumb but

I can’t understand why she walked like a woman but talked like a man.” L’histoire d’un travelo, bien avant que Lou Reed ou David Bowie ne mettent ce genre de sujet au centre de l’échiquier rock. Ce single sauvera les Kinks, les rendra célèbres aux Etats-Unis, et ouvrira une nouvelle parenthèse pour le groupe qui pourra enfin se libérer en quittant Pye quelques années plus tard (dommage, ce sera pour des albums médiocres). Musicaleme­nt, “Lola Versus Powerman And The Moneygorou­nd” marque une transition : certains titres, proches du vaudeville, évoquent encore leurs classiques de la seconde partie des sixties, d’autres se dirigent vers un rock dur et basique (“Rats”), d’autres encore lorgnent légèrement vers la country, d’autant que le banjo est omniprésen­t (même sur “Lola”) et que le groupe a recruté John Gosling au clavier, qui assure à l’orgue comme au piano honky tonk. Ray Davies a toujours été sceptique à propos de cet album : “Il y a quelques bonnes chansons, mais beaucoup trop d’amertume”. Alors que c’est probableme­nt l’amertume des frères Davies qui a fait de ce disque leur dernier chef-d’oeuvre avant “Muswell Hillbillie­s”. Après quoi, ce sera une autre histoire… Le disque ressort dans un coffret délirant avec trois CD, deux 45-tours, des cartes postales, un livret hardback somptueux et, comme d’habitude, une avalanche de raretés, alternate takes, live, etc. Ainsi que le superbe inédit “Anytime”, déjà révélé sur la version Deluxe de 2014.

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