Rock & Folk

Mank DE DAVID FINCHER

Un hommage à cette profession difficile

-

David Fincher est un génie.

Pour “Seven”, bien sûr, “le” serial killer movie le plus traumatiqu­e de l’histoire du cinéma. Mais aussi “Fight Club”, satire au goût de fin de race, “Panic Room”, exercice de style vertigineu­x tourné en huis clos ou encore “The Social Network” sur la création de Facebook. Même “Alien 3”, son premier long-métrage — et pas son meilleur — est bien plus classe et tordu que n’importe quelle épopée spatiale produite par Hollywood depuis deux décennies. Hollywood justement... Comme il est de plus en plus impossible d’y initier des films brillants et intelligen­ts (les salles étant squattées par Marvel, les super-héros et “Star Wars”), David Fincher a été faire un deal du côté de Netflix pour continuer de tourner ses films comme il l’entend. Histoire de rester un véritable metteur en scène. Et a fourni, il y a trois ans, “Mindhunter”, série addictive sur la psychologi­e criminelle. Là encore, Fincher, tout comme dans son “Seven” (sans oublier “Zodiac”) mise davantage sur l’ambiance que sur les effets chocs. Sur un nihilisme hypnotique plutôt que sur des séquences agressives. Comme d’autres grands metteurs en scène n’arrivant plus à monter leurs projets pour les grands écrans (de Martin Scorsese à Alfonso Cuaron), Fincher a donc compris qu’il pouvait continuer d’accomplir son oeuvre sur Netflix. Et a signé un contrat de plusieurs films à venir avec le géant du streaming. Dont le premier, “Mank”, était attendu depuis des mois comme le film-messie par les cinéphiles. Un film en total accord fétichiste avec l’âge d’or du septième art. Du temps où les travelling­s élégants et la photo clair-obscur n’étaient pas encore remplacés par un montage haché et des couleurs criardes retravaill­ées en numérique. Avec “Mank”, David Fincher a pu mettre bas un de ses plus vieux projets qui lui tenait à coeur depuis des décennies : raconter la genèse de “Citizen Kane” d’Orson Welles, considéré (encore aujourd’hui) comme l’un des dix plus grands films de l’histoire du cinéma. Et ce avec son scénariste, Herman J Mankiewicz, véritable stakhanovi­ste d’Hollywood qui aura écrit (et coécrit) pas loin d’une centaine de scripts entre 1928 et 1943, et dont le plus célèbre (si on excepte sa participat­ion non créditée au “Magicien d’Oz”) est “Citizen Kane” réalisé en 1941. On s’attache donc aux basques de Mankiewicz qui essaye, tant bien que mal, de boucler le scénario du film de Welles à venir. Laminé par l’alcool, il s’oppose constammen­t aux boss de la RKO qui, comme les autres firmes de l’époque plus imposantes (MGM, Warner, Fox, Universal, etc.), étaient bardés de scénariste­s employés à l’année, et qui, pour la plupart, travaillai­ent ensemble sur plusieurs projets de films. “Mank” est donc un hommage à cette profession difficile de créateur d’histoires, et montre dans le moindre détail scrutateur la confrontat­ion permanente entre ceux qui imaginent les films et les patrons des studios, toujours promptes à les faire réécrire dans un sens plus simpliste. Une intention évidemment louable, qui permet probableme­nt à Fincher d’exorciser les mauvais souvenirs de ses débuts, quand son “Alien 3” fut remonté dans son dos par les boss de la Fox. “Mank” a donc le look d’un film à l’ancienne, tourné en noir et blanc façon “Citizen Kane” (la photo d’Erik Messerschm­idt est magnifique) avec un sens du détail hallucinan­t (les années 1930/ 1940) et une interpréta­tion au cordeau (dans le rôle de Mankiewicz, Gary Oldman est, comme d’habitude, habité). Seulement — et c’est là où le film devient un demi-film du mois — il y a un souci de taille : “Mank” est… ennuyeux ! Certes bardé de références classes à un Hollywood disparu, mais qui larguera une majorité de spectateur­s de Netflix non cinéphiles. D’où les adjectifs un peu ambigus qu’on a pu lire ici et là sur la complexité du récit, sur la surabondan­ce des dialogues ou sur une surdose de flash-back quelque peu bordélique. “Mank” agit donc en deux temps. Le premier, élégant, a le look d’un vrai film de cinéma comme on n’en fait plus. Le second, plus dommageabl­e, fait refermer le film sur lui-même dans une complexité étouffante qui ne provoque finalement ni compassion particuliè­re pour les personnage­s, ni passion sincère pour l’intrigue. Ce qui n’empêchera pas “Mank” d’obtenir peut-être une brassée d’Oscars en avril prochain. Probableme­nt mérités, certes, mais un peu par défaut quand même (en diffusion sur Netflix)...

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France