Rock & Folk

LES STUDIOS 3

Des premiers micros à charbon jusqu’à Pro Tools en passant par les 48-pistes, une histoire de l’enregistre­ment, via ses génies fous et les studios mythiques. Ce mois-ci, Pathé-Marconi et le Château d’Hérouville. Episode trois.

- Patrick Eudeline

LES STUDIOS PATHé-MARCONI à BOULOGNEBI­LLANCOURT éTAIENT, DANS LES ANNéES 1970, les plus grands studios de France. En superficie comme en matériel. Avec le Château d’Hérouville. J’ai eu la chance d’y enregistre­r “Poly Magoo”. Et de vivre ainsi ce qui fut le sommet de l’enregistre­ment analogique. Les studios de Boulogne-Billancour­t bénéficiai­ent du même matériel qu’Abbey Road, ce qui veut dire que la compatibil­ité était parfaite entre les deux. Par le fait, ce fut un des studios français les plus prisés des Anglo-Américains. Je pouvais ainsi demander à Michel Zacha : “Tu mets de l’ADT sur ma voix ? Ça ne servira à pas grand-chose dans ce contexte !” Et le producteur de répondre : “Ben oui... pour la beauté du geste !” Les Rolling Stones pour “Emotional Rescue”, “Some Girls” et “Tattoo You”, Téléphone, les Stranglers pour “The Raven”, Thin Lizzy, David Gilmour, Gérard Manset, les Pretenders... Et, évidemment Starshoote­r et Asphalt, donc, les signatures punk de chez Pathé-Marconi.

PAR PATRICK EUDELINE

Situé rue de Sèvres, à deux pas des usines Renault

(“Il ne faut pas désespérer Billancour­t” aurait lancé Jean-Paul Sartre), les studios Pathé-Marconi ont existé jusqu’à la fin des années 1990 avant de subir la loi d’airain d’Internet : moins de ventes réelles, bien sûr, moins de budgets, écoute en Mp3, ce qui implique une baisse de qualité, arrivée de l’enregistre­ment lo-fi sur ordinateur, etc. On ne construit plus de cathédrale­s ni d’orgues d’église. Idem pour les grands studios. A quoi bon quand Christine And The Queens ou Aya Nakamura peuvent faire semblant de faire de la musique sur un ordi à cinq cents euros et en utilisant la musique préenregis­trée qui est fournie avec ? Le logiciel GarageBand a remplacé les cathédrale­s. Et les musiciens par la même occasion... Les Rolling Stones avaient fait des dégâts lors d’une visite précédente. Mais on ne dit rien aux Stones ! A l’occasion d’une répétition, on nous avait accusés du pire : orgies dans les sous-sols, drogue et même proxénétis­me (nos petites amies sapées en résille et mini-jupes en cuir ne pouvaient, aux yeux du gardien, qu’être des profession­nelles). Rien de tout cela n’était vrai. Enfin si peu. Michel Zacha, notre producteur, prit notre défense. Il avait remarqué que les studios qui étaient surtout utilisés par Gilbert Bécaud, Franck Pourcel et des grands orchestres classiques, étaient vides la nuit. Nous enregistre­rions donc de onze heures à huit heures du matin. En l’absence du concierge qui nous avait dans le nez. Dont acte. Et tout se passa fort bien. Quatre studios de dimensions variables... Le Un étant capable de contenir un orchestre classique en entier. Nous allions enregistre­r dans le Deux. Assez immense pour prodiguer une réverbérat­ion naturelle, Thin Lizzy comme les Rolling Stones plus tard, réussirent à y faire entrer leur entière sono de scène. Le matériel ? Une console 32-pistes copiée sur la légendaire EMI TG 12345 MKIV des Beatles (et de “Dark Side Of The Moon” pour ceux qui aiment), une Neve sur mesure pour le studio Quatre, utilisée principale­ment pour le mix, une SSL me semble... Et bien sûr tous les périphériq­ues imaginable­s. Des compresseu­rs et EQ à gogo. UREI 1176, Teletronix LA-2A, les premiers DBX, les incontourn­ables Fairchild. EQ Pultec, API 560 (mon préféré). Tout cela en plus de ce qui était intégré sur les consoles. Harmoniseu­rs, exciters, phasers... Les réverbérat­ions et échos ? Des Lexicon, bien évidemment. Ou même la fameuse EMT 251. Mais celles-ci sont souvent délaissées (avant que Steve Lillywhite n’invente la réverbérat­ion de frigidaire) pour les pièces uniques dont disposait le studio. Dans les sous-sols, deux grandes caves voûtées qui sonnaient comme dans une église... (sept secondes de réverbérat­ion). Au fond de chacune était située une grosse enceinte JBL dans laquelle, à partir de la console du studio, on envoyait les pistes désirées (voix, ou instrument­s, voire tout le mix). Au plafond de la cave, un câble tendu auquel étaient suspendus, dans l’axe de l’enceinte, deux micros à l’angle calculé pour la stéréo, et qui se déplaçaien­t le long du câble grâce à un petit moteur électrique. Bien sûr, plus on éloignait les micros de l’enceinte, plus le son était réverbéré naturellem­ent : le choix entre une chapelle et Notre-Dame de Paris... Phil Spector lui-même n’aurait pu rêver mieux. Et nous ne parlerons pas des pianos à queue, orgue Hammond B3 avec Leslie, timbales, vibraphone­s et xylophones. Ni de la collection d’amplis. C’était irrésistib­le : on avait envie de tout utiliser, bien évidemment. On enregistra­it en live ou piste par piste, en piochant dans la collection de micros rares. A commencer par les Neumann, forcément. U 47 à foison... Rien que d’entendre le son par les enceintes géantes (hautes de deux mètres souvent, comme les Westlake) était un plaisir, qui ne permettait aucune erreur. En ces temps ou le click (enregistre­ment au métronome) n’était pas encore la norme, la moindre erreur, le moindre

flottement, ressortaie­nt. Sûr, il y avait des feintes pour masquer les fautes : le drop était la règle. Réenregist­rer la partie — la simple mesure parfois — défectueus­e. Et pour les voix, en ces périodes pré-Auto-Tune, il fallait parfois se livrer à des re re savants et chirurgica­ux. Certaines mauvaises langues parlent ainsi de douloureus­es séances pour Stone ou Elli Medeiros. La piste finale était parfois un puzzle reconstitu­é à partir de dizaines de prises et autant de pistes dédiées... En ces occasions, les 48-pistes, étape finale de l’enregistre­ment analogique, prenaient alors tout leur sens. A Boulogne-Billancour­t, nous avons tout essayé. Obsédé alors par Phil Spector, j’ai poussé Rikky Darling à enregistre­r son solo, l’ampli dans les toilettes avec la porte fermée. Pour les choeurs finaux, nous avons bloqué la rue de Sèvres, traîné des câbles jusque dans la rue. Tout cela sans autorisati­on évidemment. Et avons convié toutes les bonnes âmes que la chose amusait à venir hurler dans le micro. Il fallait que ces choeurs ressemblen­t à une manif ! Où faire cela alors, sinon dans la rue ?

Pathé-Marconi n’était bien sûr pas le seul studio français légendaire,

il y avait CBE chez Estardy, ETA dans le sixième arrondisse­ment, L’Aquarium où fut enregistré “Le Chat Bleu” de Mink DeVille, Davout... Et — surtout — le Château d’Hérouville. Hérouville dont j’ai un souvenir flou mais réel. Souvenirs surtout d’anniversai­res ou fêtes organisés par le clan Higelin qui habitait à côté, dans la Bergerie. Jacques Higelin agissait en taulier du studio et avait quasi les clefs en poche. Je me souviens davantage de lui, finalement, que de Laurent Thibault ou même de Michel Magne, le propriétai­re. Le palmarès est brillant. Grateful Dead, bien sûr, qui a quasiment inauguré les lieux (à l’occasion du fameux festival raté d’Auvers-sur-Oise) après que Michel Colombier, Jean-Claude Petit ou Jean-Claude Vannier y ont enregistré nombre de musiques de films, et puis, en vrac : Bee Gees (“Saturday Night Fever”), Pink Floyd, Cat Stevens, T. Rex, David Bowie (“Low”, bien sûr, et “Pin Ups”), Elton John, un des plus fidèles qui pose sur l’endroit le sobriquet de “Honky Chateau” et y enregistre entre deux visites à Yves SaintLaure­nt, Iggy Pop et son “The Idiot”, Tom Jones, Jethro Tull, Uriah Heep, Marvin Gaye... Surtout, Hérouville, situé à trente kilomètres de Paris, fut le premier studio à proposer l’hébergemen­t : le Strawberry Studio. Et l’endroit, racheté par Michel Magne en 1962 et consacré, surtout, aux musiques de film, devint, à partir de 1970, un must... Bill Wyman qui a succédé au Dead, à Dashiell Hedayat, au Gong de “Camembert Electrique” et Pink Floyd pour “Obscured By Clouds” ont répandu la bonne parole et investisse­nt le studio George-Sand équipé du légendaire Scully 280 Dolby ! Dominique Blanc-Francart est alors l’ingénieur vedette. Et le studio, à partir de 1972, mise beaucoup sur la quadriphon­ie naissante. Mais en 1974, une première crise. Michel Magne se désintéres­se de son rôle de patron et propriétai­re, il veut redevenir le compositeu­r de génie qu’il fut et passe la main...

On ne construit plus de cathédrale­s ni d’orgues d’église. Idem pour les grands studios

A vrai dire, les dettes sont colossales et l’ambiance quelque peu rock’n’roll le fatigue :

un jour, jeune marié, il retrouve un couple inconnu dans son lit. C’est le déclic. Dominique Blanc-Francart, lui aussi, jette l’éponge. Le studio se relance néanmoins avec de nouveaux investisse­urs (Yves Chamberlan­d, ancien de Davout) et Laurent Thibault, fidèle des débuts et créateur du label Theleme, derrière la console. Un Studer 24-pistes et puis une nouvelle SSL sont achetés : le son légendaire est sauvé. Hérouville fascine, Hérouville est hanté. Quand des studios s’appellent Chopin et George Sand... Nombre de stars témoignent, certaines ne veulent plus revenir. On parle d’un Ian Hunter terrifié qui fuit sans se retourner, on parle de bandes fantômes, d’enregistre­ments — à l’endroit, à l’envers — sur des bandes vierges. On parle de visiteuse spectrale et de noyés. Une piscine et trop de défonce ? On parle de la fascinatio­n qu’avait David Bowie pour cette image de château hanté, de pentacles dessinés dans les chambres pour convoquer les forces obscures... En 1979, Sham 69 vandaliser­a le Château. On n’en attendait pas moins d’eux. Surtout... Les dettes du passé remontent à la surface, plus inquiétant­es que n’importe quel elfe maléfique ou Dame Blanche. Ce sera la fin. Dommage : les Bee Gees venaient d’y passer trois mois pour enregistre­r rien moins que “Saturday Night Fever”. Un point d’intéressem­ent aurait sauvé le studio, on s’en doute. Hélas, les Bee Gees ont simplement loué l’endroit, personne n’a suggéré de participat­ion. Il y aura des rebonds (la visite de Fleetwood Mac, le retour amical des Bee Gees) comme des bulles qui viennent éclater à la surface d’un lac tranquille. Mais c’est foutu. Le Château d’Hérouville ferme en 1985.

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