Little Richard
“HERE’S LITTLE RICHARD” Si une phrase devait résumer l’entière philosophie du rock’n’roll, ce serait naturellement “A wop bop a loo bop a lop bam boom”... Extrait de “Tutti Frutti”, ce cri primal, fusée créatrice, totale abstraction, est dû à un génie afroaméricain, Little Richard, né Richard Penniman à Macon (Géorgie) en 1932. En raison de sa puissance vocale, de son inventivité et de son incroyable insolence, il est l’autre King. Pour beaucoup, ses disques forment la fondation sur laquelle le rock’n’roll s’est construit. Plagié par James Brown, Otis Redding, Joe Tex, Larry Williams, Paul McCartney et des dizaines d’autres, il demeure unique. Comme l’indique le titre général (“Voici Little Richard”), “Here’s Little Richard” est son premier album. On y trouve une collection de morceaux devenus des classiques maintes fois repris dont “Ready Teddy”, “Long Tall Sally”,
“Rip It Up”, “Slippin’ And Slidin’ ”, “Jenny, Jenny”... Elvis Presley, Gene Vincent, Jerry Lee Lewis, Buddy Holly, Eddie Cochran, les Beatles, les Kinks, MC5, etc, en ont fait leurs délices. En ouverture, “Tutti Frutti” place d’emblée la barre au plus haut niveau. Travaillant pour Specialty, label basé à Los Angeles, Robert Bumps Blackwell produit les enregistrements à la Nouvelle-Orléans, dans le même studio que Fats Domino, entre septembre 1955 et octobre 1956. L’énergie pure et l’exubérance du chanteur s’appuient sur un accompagnement particulièrement solide fourni par Lee Allen, Alvin Red Tyler (saxos), Frank Fields (basse), Earl Palmer (batterie) et un guitariste, le plus souvent Edgard Blanchard. Chanteur exceptionnel, Little Richard s’avère aussi un pianiste au style essentiellement dynamique. Compositeur, il cosigne huit des douze plages du 33 tours. En public, présentant un show flamboyant, libérateur, il électrise un public d’adolescents où l’absurde séparation entre Noirs et Blancs n’a plus cours. Maquillé, désinhibé, il contribue à faire reculer les barrières raciales et sexuelles. Prophète du “A wop bop a loo bop a lop bam boom”, Little Richard a changé le monde.
“RICKY” Un garçon de 17 ans fait mentir l’adage qui voudrait que, pour faire du bon rock’n’roll, il faille être un rebelle né dans le Sud en milieu prolétaire. C’est Eric Hilliard Nelson dit Ricky Nelson (1940-1985). Célèbre cadet dans une sitcom familiale, il a grandi devant des millions d’Américains. Pour séduire une fille entichée d’Elvis Presley, il se met au chant et enregistre une chanson de Fats Domino, “I’m Walking”. On ne sait pas ce qu’en a pensé la muse mais, au printemps 1957, le succès est tel qu’il quitte Verve pour Imperial, même label que Fats Domino, rapidement encouragé à graver un album, “Ricky”. Authentique fan de rockabilly, du son Sun et en particulier de Carl Perkins, il emprunte à celui-ci deux titres, “Boppin’ The Blues” et “Your True Love”. Miracle, Ricky Nelson sonne vrai. Ses intonations, son phrasé, sa manière de placer les accents, tout frappe juste, merveilleusement en place. Encore juvénile, il a l’intelligence de ne pas forcer sa voix, il reste parfaitement naturel. Comme Gene Vincent, il modernise des airs anciens tel “I’m Confessin’ ” (1930) qu’il a entendu toute son enfance joué par son père, chef d’orchestre, et sa mère, chanteuse. Il choisit “Am I Blue” (1929) et “Have I Told You Lately That I Love You” (1945) qu’Eddie Cochran épingle au même moment ; ou “True Love” de Bing Crosby qu’Elvis Presley vient d’inclure dans “Loving You”. C’est un garçon dans le coup ! Autre influence venue de Memphis, “Whole Lotta Shakin’ Goin’ On” doit plus à la version de Jerry Lee Lewis qu’à l’originale de Big Maybelle. Le rock’n’roll de Ricky Nelson conserve des touches pop ou country, les sources se mariant dans des chansons impeccables comme “Honeycomb” d’après Jimmie Rodgers. L’aspect rockabilly est à son comble dans un arrangement de “If You Can’t Rock Me” des Strikes. La réussite n’eût pas été si grande sans des musiciens particulièrement affutés. Le fan de Carl Perkins sait s’entourer. Soutenu entre autres par deux des meilleurs guitaristes, James Burton et Joe Maphis, Ricky Nelson entre dans l’histoire du rock par la grande porte.
“JERRY LEE LEWIS” Quand il cède à RCA le contrat qui le liait à Elvis Presley, Sam Phillips se réjouit de toucher 35.000 dollars qui vont lui permettre de lancer la prochaine sensation rock’n’roll, Jerry Lee Lewis. Né à Ferriday, Louisiane, en 1935, Jerry Lee Lewis semble avoir digéré tous les genres populaires, boogie, standards de la variété, blues, etc., et en avoir conçu une musique personnelle exaltante. Contrairement à ses homologues qui la plupart taquinent la guitare, il est pianiste. Sa façon de jouer, dynamique et singulière se double d’une inventivité permanente tout comme son chant de Sudiste insolent. Il n’interprète jamais un morceau deux fois pareil ! Afin de souligner son originalité, Sun imprime comme crédit sur les étiquettes : Jerry Lee Lewis & his Pumping Piano. Les espoirs mis en lui sont vite récompensés par des réussites époustouflantes, “Whole Lotta Shakin’ Goin’ On”, “Great Balls Of Fire”, “Breathless”… L’impact est tel que, malgré ses réticences vis-à-vis du format, Sam Phillips publie un album, “Jerry Lee Lewis”. Pour des raisons inconnues, les succès en question n’y figurent pas. Seul “Crazy Arms”, le premier simple, est sauvegardé, ce qui laisse ample place à l’artiste pour montrer l’étendue de son talent et de ses références. Toujours aveugle à la couleur en musique, il aborde avec autant de naturel un gospel, “When The Saints Go Marchin’ In”, un standard country, “Jambalaya”, en référence au révéré Hank Williams, ou le très folk “Goodnight Irene” de Lead Belly. Il puise dans le répertoire des collègues de chez Sun, Warren Smith (“Ubangi Stomp”), Carl Perkins (“Matchbox”), Elvis Presley (“Don’t Be Cruel”). Le truculent Cowboy Jack Clement, premier à soutenir son arrivée chez Sun, compose pour lui “It’ll Be Me”, rock de première classe que reprendront les Move. Interprète génial, Jerry Lee Lewis signe rarement. Il fait une exception pour “High School Confidential” destiné au film homonyme (en France, “Jeunesse Droguée” !) dans lequel il apparaît. C’est évidemment devenu un monumental standard du genre. Fantasque, imprévisible, insubmersible (the last man standing), surnommé le Killer, Jerry Lee Lewis n’a jamais tué personne, ou alors il y a longtemps, mais, attention !, son rock est mortel.