Jacques Dutronc
“JACQUES DUTRONC” VOGUE
1966, les temps changent : Antoine, Nino Ferrer, Michel Polnareff et Jacques Dutronc publient tous leur premier album. Ils marquent une rupture avec la génération yéyé. Aux adaptations de succès anglo-saxons, la nouvelle génération oppose une écriture personnelle et mordante. Costumes cintrés, coupe impeccable, textes cinglants, Jacques Dutronc ringardise instantanément les idoles de Salut Les Copains avec son premier succès “Et Moi, Et Moi, Et Moi”, élégie caustique sur l’individualisme. L’histoire est un heureux accident. Après avoir été guitariste du groupe instrumental El Toro Et Les Cyclones, le Parisien assiste Jacques Wolfsohn à la direction artistique. Jacques Dutronc rencontre, lors d’une session du chanteur Benjamin, Jacques Lanzmann, parolier de circonstance et rédacteur en chef de la revue Lui. Les deux entament une des plus fructueuses complicités de la pop française. “Jacques Dutronc”, album de la lune de miel, est un tour de force. Dutronc se saisit des riffs sauvages des Kinks, les confronte aux textes moqueurs et sarcastiques de son acolyte. L’ensemble est aussi inédit qu’inespéré. Mieux, le chanteur parisien, plutôt qu’enregistrer à Londres comme tant d’autre autres (Gainsbourg ou Polnareff), recrute un gang serré au carré pour l’accompagner. Celui-ci, composé de Jean-Pierre Alarcen (guitare), Alain Legovic futur Chamfort (clavier) ou Hadi Kalafate livre un récital électrique, survolté, dans la langue de Molière. “Sur Une Nappe de Restaurant” ou “On Nous Cache Tout, On Nous Dit Rien” mettent la gomme et brûlent l’asphalte quand “Les Cactus” ralentit le rythme et se pique d’un feedback choquant pour l’époque. Jacques Dutronc enquille les tubes, sans répit. La formule fonctionne à tous les coups : un riff poisseux de quelques notes dans la gamme pentatonique, répété jusqu’à la transe. Du coup d’un soir (“La Fille Du Père Noël”) jusqu’à la célébration de la charmante création de Mary Quant (“MiniMini-Mini”), Jacques Dutronc perfectionne la recette, la varie dans une infinité de nuances qu’il explore dans ce premier album, le plus abouti de sa carrière. Les morceaux au tempo mesuré (“Les Play-Boys” ou le quasi folk-rock “L’Espace D’Une Fille”) finissent de cimenter la profession de foi d’une époque en ébullition, dont Jacques Dutronc se saisit parfaitement.