Chicago Transit Authority
“CHICAGO TRANSIT AUTHORITY”
COLUMBIA
1969 est l’année de la grande expansion.
Les barrières tombent les unes après les autres. Des groupes publient un album et inventent un genre. Santana connecte la guitare électrique aux rythmes afro-cubains, The Band à la musique des Appalaches. Les cuivres déferlent, souvent cantonnés dans un rôle de soutien, proches du rhythm’n’blues (The Electric Flag, Blood, Sweat And Tears, The Paul Butterfield Blues Band). A Chicago, sept hommes affûtent leurs idées : s’emparer des arrangements des big bands de jazz et se servir de la trompette, du trombone et des bois comme d’une nouvelle voix, en contrepoint au chant. A cela, ils ajoutent des mélodies inspirées des Beatles (versant Paul McCartney), une section rythmique décapante et un as du manche tellement en avance sur son temps, Terry Kath, qu’il laisse pantois Jimi Hendrix — “Tu sais que votre guitariste est meilleur que moi”, se laisse dire Walt Parazaider, l’un des cuivres, par le grand gaucher à l’issue d’un concert au Whisky A Go Go. Le groupe s’est alors relocalisé à Los Angeles pour percer, et les sept francs-tireurs passent leurs journées à peaufiner les rouages de leurs morceaux. Tous ces éléments de contexte ne préparent pas vraiment à la découverte de cet album de soixante-seize minutes, dont chacun des douze morceaux recèle un tel nombre d’idées que des heures d’écoute ne peuvent les épuiser. Le premier ? Tempo échevelé, voix soul, cuivres faisant feu de tout bois, puis un pont où chaque instrument se frôle sans se percuter, le tempo descend, repart à moitié, la guitare réinjecte une énergie démentielle et le swing de départ se réinstalle, comme si de rien n’était. Voici pour “Introduction”. Derrière, les musiciens s’autorisent tout : cinq minutes de furie avant l’arrivée du chant sur un groove hypnotique (“Poem 58”), une pulvérisation du “I’m A Man” de Steve Winwood, sept minutes de dissonances sur “Free Form Guitar”, deux morceaux inspirés par les émeutes de la convention démocrate de 1968, mais aussi, lorsque la guitare passe au second plan, une pop nouvelle, hyper arrangée, doucereuse, qui indiquera la voie, plus accessible, que suivra le groupe, institution en devenir de la FM américaine. Mais, en 1969, Chicago est un ensemble authentiquement révolutionnaire, sans équivalent passé ni futur.