Crosby, Stills & Nash
“CROSBY, STILLS & NASH”
ATLANTIC
Cet album, resté deux ans dans les charts américains à sa sortie, a longtemps semblé être celui d’une unique génération, celle des baby-boomers, qui le chérirent des deux côtés de l’Atlantique. Les choses ont récemment changé. Tout un pan du folk-rock américain contemporain (Fleet Foxes, Jonathan Wilson, Israel Nash) s’est mis à ressusciter le son de Laurel Canyon, et celui-ci commence ici. L’avènement de CS&N était une affaire improbable, la collusion de trois personnages très dissemblables en rupture de leurs groupes respectifs. David Crosby, tout juste congédié des Byrds, s’accointe avec Stephen Stills, dont Buffalo Springfield a mordu la poussière. Un soir de l’été 1968, à Laurel Canyon, dans le salon de Joni Mitchell, le Britannique Graham Nash, luimême en partance des Hollies, joint sa voix aux leurs sur une composition de Stills, “You Don’t Have To Cry”. Magie immédiate. Ahmet Ertegün, enthousiaste, signe le trio chez Atlantic. En studio, Stills, qui vient de découvrir la cocaïne, oeuvre jour et nuit, efface les parties de ses comparses pour les refaire. Guitares, basse, orgue, il ne délègue quasiment que la batterie, à Dallas Taylor. La finesse instrumentale du disque lui est due et ses morceaux, majoritaires, sont certainement les plus forts : ballade déchirante (“Helplessly Hoping”), rock à tiroirs (“49 ByeByes”), étonnante odyssée folk achevée à Cuba (“Suite : Judy Blue Eyes”). Nash a pour lui un souci de la mélodie soignée, délicate, Crosby évolue dans une dimension à part — “Guinnevere” et ses harmonies médiévales perchées, l’introspection douloureuse de “Long Time Gone”. “Wooden Ships”, coécrit par Stills, Crosby et Paul Kantner du Jefferson Airplane, dénote par ses climats psychédéliques, précieux pour cet effet de contraste, sa sourde inquiétude. Mais la grande trouvaille du trio réside dans la beauté des harmonies vocales, leur alchimie unique. Des harmonies qui tombent à point nommé en cet été 1969 pour une génération désireuse de continuer de croire en l’avènement de jours meilleurs, quand bien même tout commence à sérieusement s’étioler. Le succès est immédiat et les trois hommes doivent passer du studio à la scène. Pour les y épauler, Ertegün suggère un ex-Buffalo Springfield, un certain Neil Young. Son irruption va prolonger l’état de grâce (“Déjà Vu”, 1970), tout en chamboulant les équilibres internes de manière irréversible.