Gene Clark
“NO OTHER” ASYLUM
Janvier 2014. Une escouade de musiciens de Beach House, Fleet Foxes, Grizzly Bear, prennent la route pour une série de concerts visant à recréer note pour note “No Other”. Le temps, en ce cas présent, a fait son oeuvre. Cuisant échec commercial à sa sortie, longtemps snobé pour sa production, “No Other” possède aujourd’hui le statut qui aurait toujours dû être le sien : un chef-d’oeuvre, d’une extrême singularité. Ironiquement, c’est en revenant vers les Byrds, quittés huit ans plus tôt pour une carrière solo erratique, que Clark a pu donner corps à cet album. Il n’a en effet échappé à personne, et surtout pas à David Geffen, patron du label Asylum qui avait fomenté le décevant “Byrds” (1973), que les chansons de Clark étaient d’un calibre bien supérieur à celles de ses comparses.
Il lui donne carte blanche pour un album et s’en mordra les doigts lorsque le chanteur lui présentera la facture : 100 000 dollars, pour huit chansons. C’est que le producteur Thomas Jefferson Kaye n’a pas lésiné sur les arrangements. La crème des sessionmen de Los Angeles est convoquée, de même qu’une cohorte de choristes (Clydie King, Claudia Lennear...). Couplet country-rock, envolée gospel du refrain, paroles métaphysiques, voix bouleversante : “Life’s Greatest Fool”, le premier morceau, indique l’étrangeté du projet. Plus loin, la voix plane au-dessus de mers obscures (“Silver Raven”), un souffle épique soulève des montagnes (“Strength Of Strings”, “Some Misunderstanding”), des ombres s’allongent et dansent sur la campagne (“No Other”), piano, violon, violoncelle et guitare wah-wah roulent en torsades vers le ciel (“Lady Of The North”). Grandiloquent, tout cela ? Grandiose plutôt. Pianos électriques, percussions cubaines, cordes, synthétiseurs, guitares habillent la vision, donnent corps aux mélodies. Et Clark est ici à son apogée (“From A Silver Phial”, sublimation du désenchantement, avec la guitare de Jesse Ed Davis pleurant doucement chaque larme de son corps). “No Other” baigne en outre dans une spiritualité complexe, dont la poésie des paroles fournit certaines clefs : dualité des choses, des êtres, apparences trompeuses, prix à payer, fatalité. Clark aurait de quoi continuer à méditer : il ne se remit jamais vraiment de l’échec d’une oeuvre que sa disparition en 1991, à 46 ans, l’empêchera de voir réhabilitée à sa juste valeur.