King Crimson
“RED” EG
Dernier volet du triptyque entamé avec “Larks’ Tongues In Aspic” et “Starless And Bible Black”, “Red”, oeuvre-testament de King Crimson, articule brillamment les fondateurs du langage frippien (riffs saillants, explorations jazzy et relecture flippée des jeux sériels propres aux pontes de la musique contemporaine) pour en proposer une synthèse des plus épurée. Le Crimso, réduit ici sous la forme d’un simple trio, Bill Bruford, transfuge de Yes, et John Wetton accompagnant désormais le démon Robert Fripp, enserre d’emblée l’auditeur au sein d’une architecture de métal en feu dans laquelle retentissent d’angoissants accords de guitare exécutés névrotiquement suivant les lois mathématiques de la série. “Red”, morceau éponyme au riff lancinant et aveugle comme balancé dédaigneusement par un Fripp plus impassible que jamais, et dont se réclameront dévotement Nirvana, Soundgarden, Alice In Chains et consorts, trouvera avec “Fallen Angel” qui suit l’occasion de suspendre un court instant ce déluge d’acier : notes de guitare fugacement esquissées, ouragan d’arpèges saturés, et un John Wetton terrifiant de force fatiguée. Vient ensuite “One More Red Nightmare”, genre de funk ponctué de stridulations de tôles froissées qui se meut peu à peu en une jam toute habillée de raide d’où émerge le sax éblouissant de Ian McDonald. “Providence”, enregistré live durant l’une des nombreuses tournée US du groupe, voit Fripp et les siens délaisser les grandes fresques bucoliques d’antan au profit de nappes en fusion lourde. Les claviers embrumés et la guitare sereine de Fripp sur “Starless” semblent annoncer un événement effroyable et, effectivement, malgré un réceptacle qu’on croirait rétif à ses motifs tout en dissonances, Fripp parvient, au terme d’une montée orgasmique, à exploser en gerbes de stridences lacérant impitoyablement l’espace pour gonfler encore d’une monstrueuse puissance destructrice après avoir introduit dans cette cathédrale en feu un troublant entrelacement de cordes et de vents façon Bartók. Solo qui finira par trépasser, englouti sous un somptueux fracas orchestral. “Starless”, archétypal, genre de “Sacre Du Printemps” revisité par un Franz Kafka sous acide, dévoile l’essence de la musique du Crimso : cet alliage lettré de heavy metal progressif et d’un sens inné de la mélodie, genre de mathématique sensible habitée par le diable.