Rock & Folk

Lucio Battisti

- BENOîT SABATIER

“ANIMA LATINA” NUMERO UNO

En 1997, deux astronomes découvrent une nouvelle planète. Il faut lui donner un nom. Elle s’appellera 9115 Battisti, du nom de l’idole des deux astrophysi­ciens. Le compositeu­r vient de mourir, il continue d’exister dans les astres, et à travers une discograph­ie tout aussi spatiale. Lucio Battisti a lui-même bénéficié d’une bonne étoile, nommée Mogol — l’homme qui écrit en 1961 “Uno Dei Tanti”, traduit par Leiber & Stoller en “I (Who Have Nothing)”, chanté par la terre entière. Mogol fait ensuite le job inverse : transposer en italien des hits anglosaxon­s. Il adapte “A Whiter Shade Of Pale” pour Dick Dick, croisant alors un mercenaire qui compose pour ce même groupe : Lucio Battisti. Mogol convainc le timide songwriter : lance-toi en solo, écris les musiques, chante, je te fais des textes. L’associatio­n débute en 1969. Le jeune asocial commence dans un style à la Aphrodite’s Childs, puis part en roue libre, composant des chansons post-hippie plus funambules­ques, entre Tim Buckley et “Melody Nelson”. Tous les babos en sont baba, mais pas qu’eux : succès national et phénoménal. Battisti et Mogol ont fondé leur propre label, Numero Uno, ils sont libres, le chanteur abandonne la scène, fuit le star system, s’enferme en studio, n’en sortant que pour voyager en Amérique du Sud. Quand il en revient, il est prêt à enregistre­r son chef-d’oeuvre : “Anima Latina”. L’influence MPB (l’après-tropicália) est évidente — d’où ce titre, “Ame latine”, liant l’Italie au Brésil. Battisti a écouté Tom Zé, a vu en lui un cousin, un exemple pour exploser encore plus les carcans, rendre ses chansons plus funk, sensuelles, tropicales. Rythmes sophistiqu­és, synthé romantique, mélodies distinguée­s, fanfare insolite, virtuose sans jamais être démonstrat­if, l’album crée un pont entre Robert Wyatt et Raul Seixas, Roger Hodgson et Caetano Veloso, Pink Floyd et Walter Franco, pour un résultat ni anglosaxon, ni brésilien — ni même méditerran­éen ou italien : un disque extraterre­stre. Pas jazzrock ou prog : du krautrock suave, aérien

— deux ans plus tard, Battisti incorporer­a, avec “Ancora Tu”, du disco. D’une modernité inouïe, à la fois poétique et hypnotique, avantgarde et populaire, “Anima Latina” reste treize semaines à la première place des charts italiens. Dans les étoiles aussi, il est numero uno.

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