Young Marble Giants
“COLOSSAL YOUTH”
ROUGH TRADE
Disque étrange, bizarrerie musicale. Album daté, ancré dans son temps (1980, la new wave grisonnante) et pourtant étonnamment intemporel. Une bonne adresse que l’on s’échange entre amis, presque gêné d’avoir à insister. Qui, sinon, dépenserait pour cette pochette affligeante ? Trois figures de cire hébétées, le regard vers nulle part, figées trois quarts face, en anthracite et blanc sur fond noir. Gaies comme les employés du mois d’une quelconque ferme d’Etat au temps ancien du stakhanovisme triomphant. Glamour moins que zéro, programme de plaisir minimum. Au moins, comme ça, aucun risque d’erreur car c’est bien de minimalisme dont il est question ici. Un trio : deux frères, Stuart et Philip Moxham, et une voix, Alison Staton. Deux instruments, guitare et basse, point final. Ah si, dans le fond, à l’occasion, une boîte à (deux) rythmes archaïque et quelques sons d’orgue synthétique. Des arrangements ? N’y pensons même pas. Une musique de peu de notes, glacée comme le marbre, que seul échauffe le mince filet vocal de l’ingrate mademoiselle Staton. “Searching For Mr Right”, “Wurlitzer Jukebox”, “Credit In The Straight World”, autant de chansonnettes à peine entraînantes, incroyablement réjouissantes ou totalement déprimantes, selon l’état d’esprit du moment, qui pourtant se fixent à la mémoire dès la première écoute, immédiatement séduisantes. Composées en autarcie par Stuart Moxham, lancées depuis Cardiff, trou du cul du monde rock en Pays de Galles sinistré via le label débutant Rough Trade (celui des futurs portedrapeaux du renouveau pop britannique The Smiths et, pour l’heure, à peine dégrossi de ses oripeaux punk), ces ritournelles profil bas — “Colossal Youth”, et puis quoi encore ? — échappèrent à leur apprenti sorcier bricoleur, remportant un succès de masse pour le moins inattendu. Une réussite par accident qui tient de l’alchimie du hasard, par essence impossible à reproduire. Aussi le groupe en resta là, dissous peu de temps après la traditionnelle tournée promo, Peel Sessions et autres festivités. Alison Staton forma Weekend le temps d’un album prodigieusement raté, et Stuart Moxham engagea une longue carrière solo underground et prétentieuse. En matière de sexe, on appelle ça un coup d’une seule nuit et ce sont parfois ceux qui laissent les meilleurs souvenirs. ALEXIS BERNIER
PARLOPHONE
En 1980, tandis que les Buzzcocks tiraient leur révérence, une nouvelle ère débutait et l’apparition d’un album monumental allait réchauffer l’atmosphère. Alors que Banshees, Joy Division, Cure et autres jeunes gens tourmentés installaient l’âge de glace, une bande de gonzes sapés comme un croisement entre les protagonistes de “Mean Streets” et les prolos fans de Northern Soul vers 1974 débarquait en force avec, sous le bras, un disque extraordinaire. Lequel s’ouvrait par le son d’un tuner à la recherche de la bonne fréquence, zappant entre Sex Pistols et Specials, avant de débuter réellement au son de cuivres arrogants. Stupéfaction générale. Immédiatement adopté par les mods du revival, “Searching For The Young Soul Rebels” devait ridiculiser tous les Chords, Purple Hearts et compagnie qui, en matière de modernism, ne faisaient que du mauvais punk à la sauce power pop, s’apercevant qu’ils étaient totalement passés à côté de ce qui aurait dû être leurs véritables influences : la Soul, avec un s majuscule. Même Paul Weller en fut traumatisé et devait nourrir à l’égard des Dexys une jalousie tenace. Il faut dire que Kevin Rowland et sa troupe faisaient fort : les cuivres étaient utilisés comme dans la soul (voire le jazz) et non comme chez Springsteen ou les Clash, les compositions étaient grandioses, osant parfois le truc risqué de l’instrumental (somptueux “The Team That Meet In Caff”) et les références parfaites (Geno Washington et même une reprise d’un classique northern, “Seven Days Too Long”). La voix de Rowland, étranglée, divisait entre admiration et irritation profonde, mais il était évident que ce disque à la pochette historique était un sacré chef-d’oeuvre se terminant sur un autre hymne fantastique, le très chic “There, There, My Dear”. Cet album mythique ayant été produit comme un disque de soul sixties, renonçant à tous les gadgets sonores de 1980, il est de ce fait devenu immortel et s’écoute aujourd’hui dans toute sa grandiose intemporalité. Les Dexy’s allaient bientôt changer de direction pour aborder les parages de la musique celtique, Rowland signant un tube monstrueux (et devenu insupportable) avec “Come On Eileen” sur l’album “Too-RyeAy” en 1982, mais il ne faut pas s’y tromper : c’est bien ce premier album qu’il faut avoir. NICOLAS UNGEMUTH