Rock & Folk

The Pretenders

“PRETENDERS”

- STAN CUESTA

REAL

Les Pretenders naissent à la fin des années 70, formés par une ancienne rock-critic (Chrissie Hynde : chant, guitare, compositio­ns, âme du groupe) et deux futurs morts (James Honeyman Scott : guitares, overdose en 1982 et Peter Farndon, basse, accident de baignoire en 1983) complétés du batteur Martin Chambers. Avec ce premier album, ils frappent fort d’emblée, réconcilia­nt new wave et rock’n’roll, avec quelques détours par des rythmes reggae

(le superbe “Private Life”). Aujourd’hui, ces morceaux sont toujours aussi bons, comme le prouve la sortie de l’album de 1995, faux unplugged mais vraie perle, qui reprend en versions acoustique­s “Kid” (deuxième single du groupe, en juillet 1979), “Brass In Pocket” (n° 1 en novembre de la même année) et “Private Life”, qui n’ont pas pris une ride. Il faut dire que la musique des Pretenders est intemporel­le car hors mode et hors norme. Ce groupe fut durant la plus grande partie des années 80 la seule fierté du rock mondial, le gardien du temple. Sans afficher une attitude frileuse, puriste ou conservatr­ice, mais simplement par sa classe naturelle, celle de sa chanteuse à la voix magnifique —

“Nous ne sommes pas en concurrenc­e avec Dionne Warwick, ce qui permet aux gens de penser que je suis une bonne chanteuse...” — et au look nickel, image parfaite du fantasme masculin de femme rock’n’roll. Mais également grâce à son talent pour écrire des chansons de haute facture : pas un poil de gras sur cet album, sobrement habillé de guitares rageuses, taillées près de l’os. Une seule reprise mais non des moindres, leur premier single paru fin 1978 et produit par l’inévitable Nick Lowe : le rare mais délicieux “Stop Your Sobbing” des Kinks, groupe fétiche de Chrissie, dont elle épousera le leader quelques temps plus tard

(“Après notre reprise, les Kinks se sont remis à jouer cette chanson sur scène mais, comme ils ne s’en souvenaien­t plus, ils ont pompés nos arrangemen­ts. J’en étais très fière...”). Produit comme le suivant, excellent lui aussi, par Chris Thomas, un véritable Zelig du rock associé aux enregistre­ments des plus vénérables (des Beatles à Pulp, en passant par Sex Pistols et Procol Harum — ce typelà a sûrement quelques bonnes histoires à raconter...), ce disque est un classique.

CBS

Le hard fut une lame de fond à la fin des années soixante-dix : seules de petites élites branchées écoutaient du punk ou de la new wave, alors qu’il était le seul rock réellement populaire, capable de fédérer en drainant des bataillons de lycéens et de prolos. Dans ce contexte, Trust électrocut­a les foules avec son deuxième album et imposa ses chansons au vitriol en guise d’alternativ­e engagée à Téléphone. Quand il réussit cet exploit, le groupe existe depuis trois ans sous l’impulsion d’un duo complément­aire : Nono (Norbert Krief), guitariste et compositeu­r imprégné des guitar heroes, et Bernie (Bernard Bonvoisin), chanteur et parolier en phase avec le gauchisme rampant qui irradie la société. Dès la parution de ce second album, “Antisocial” est un tube qui prend de plein fouet la société giscardien­ne. Mais “Répression” n’est pas le disque d’un seul titre car il fonctionne comme un ensemble rageur dont le morceau phare n’est que la figure de proue. La réalisatio­n parvient à préserver l’intelligib­ilité d’un chant proche de la harangue monocorde tout en adoptant un gros son qui met en valeur la guitare de Nono, les rythmique offensives et quelques interventi­ons de cuivres, notamment sur le très réussi “Fatalité”, au confluent du hard, du punk et du rock’n’roll. Bernie laisse libre cours à son écriture incisive.

Il surfe sur des tempos rentre-dedans (sous influence punk), adopte une scansion qui annonce les rappeurs et attaque tous azimuts : l’ayatollah Khomeiny (“Monsieur Comédie”), la récupérati­on mystique (“Les Sectes”), la police (“Instinct De Mort”), les injustices sociales (“Fatalité”)... Il ne tolère qu’un autre parolier, Mesrine, ennemi public dont il adapte un texte cinglant (“Le Mitard”). Et quand le quatuor s’accorde une pause blues (“Saumur”), il en profite pour massacrer ce symbole des villes de province en une diatribe acérée. Cette alchimie atteint son paroxysme avec “Antisocial”, chant de révolte le plus populaire du rock français. Loin de la surenchère heavy en live, tout est impeccable­ment dosé dans cette première mouture, depuis l’intro à la guitare jusqu’au refrain repris en choeur. Jamais le terme d’hymne n’aura été aussi approprié qu’à ce brûlot dont le refrain fonctionne avec l’efficacité d’un slogan revendicat­if : même pas de mélodie transcenda­nte, uniquement la force d’un riff vocal facile à retenir et à brailler. Un modèle inégalé.

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