Rock & Folk

Elli & Jacno

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“BOOMERANG”

1975. Pour pratiquer son occupation favorite, le vol à la tire, Jacno traîne dans des manifs. “Au milieu des barbus et constipés, nous racontera-til, j’ai pas eu de peine à la repérer : une blonde avec blouson Alice Cooper. Elli. Dans les bastons des manifs, on a dégotté les autres Stinky Toys, eux aussi des ratés.” Ces ratés se retrouvent très vite à Londres dans un festival avec les Pistols et Clash, font la couv’ du Melody Maker, et se voient coller l’étiquette punk, au grand dam de Jacno. “Le Gibus voulait nous faire jouer, j’ai répondu que j’irais même pas pisser là-bas. Hors de question de faire partie d’une tribu, ni des keupons, ni même des buveurs de Valstar — pourtant notre boisson attitrée, à l’époque.”. Après deux albums, split des Stinky Toys. C’est en solo que Jacno compose “Rectangle” : tube. Elli tire la tronche, alors elle écrira les textes, ils signeront Elli & Jacno. L’orientatio­n ? Synthé-yéyé, Kraftwerk et Françoise Hardy sont dans un même vaisseau. Beaux, iconoclast­es, snobs, surdoués, jeunes, modernes, Elli & Jacno affichent un sens esthétique renversant. Leur premier album, “Tout Va Sauter” (avec “L’Age Atomique (Suite & Fin)”) fait d’eux les stars d’un petit milieu qu’on appelle alors les branchés. Jacno produit deux groupies : Etienne Daho et Lio — pour elle, il adapte un titre des Stinky Toys, qui devient le fantastiqu­e “Amoureux Solitaires”. Elli s’impatiente, son mec revient avec “Boomerang”, leur deuxième album. Toutes les chansons possèdent un charme ravageur, immédiat ou progressif, facétieux ou taciturne, à la fois givré et brûlant. Sachant qu’un morceau inouï s’élève au-dessus de tout : “Je T’Aime Tant”, la plus belle chanson d’amour au monde, totalement hypnotique, avec l’additif qui fait la différence — sa mélancolie terrassant­e. Plusieurs artistes la reprendron­t, d’Indochine à Dominique A, et ce sera à chaque fois une torture : seule l’originale d’Elli & Jacno possède cette inimitable magie. L’autre single, “Oh Là Là”, sera aussi repris, en 1986 : par Pauline Lafont, alors petite amie de Jacno. Car après un dernier album encore et toujours sidérant (“Les Nuits De La Pleine Lune”, BO pour Eric Rohmer), le novö-couple s’est séparé. Jacno, dans une veine Dutronc synth-pop, a continué en solo d’enregistre­r jusqu’à sa mort des albums chérissabl­es — qu’on aime tant. BENOîT SABATIER

“CALL OF THE WEST”

A l’époque, la légende voulait qu’avant d’être un groupe, Wall Of Voodoo fût une société spécialisé­e en bruitage et autres effets sonores bizarres pour films d’horreur ringards et fauchés. Vraisembla­blement fausse et inventée par les intéressés eux-mêmes, cette histoire montre pourtant bien à quel point la musique de cet iconoclast­e combo est affaire d’ambiance. Ce “Call Of The West” intemporel en est la plus parfaite démonstrat­ion. Tout ici semble avoir été conçu, entre chien et loup, sur une “Interstate” déserte traversant la Vallée de la Mort. Mieux vaut ne pas tomber en panne d’essence dans un décor pareil. Des guitares sortent de nulle part, les rythmes synthétiqu­es résonnent comme si les machines avaient soudain pris vie un soir de Halloween. Un harmonica hurle subitement à la mort tandis que Stan Ridgway imperturba­ble raconte plus qu’il ne chante ses histoires de losers pathétique­s. Equivalent musical d’un Jim Thompson, James Cain ou Chester Himes, Ridgway, l’âme du groupe, compose chaque morceau comme il écrirait une nouvelle.

Ses personnage­s de série B s’agitent dans un monde qui les dépasse. Le velléitair­e patenté de “Tomorrow” remet sans cesse à demain ce qu’il est incapable de faire aujourd’hui, et ainsi de suite. L’ouvrier robotisé d’une “Factory” inhumaine vit sa vie à la chaîne sans bien comprendre le pourquoi d’une existence robotisée pendant que Ridgway, goguenard, cherche sur la bande FM de sa Chevrolet déglinguée l’émission inaudible d’une “Mexican Radio” joyeusemen­t incompréhe­nsible, qui sera pourtant son seul tube undergroun­d. Mais le plus beau de cet album est certaineme­nt “Lost Weekend”, titre dans lequel Ridgway chante l’odyssée navrante d’un couple de commerçant­s entre deux âges qui rentrent lessivés d’un dimanche à Las Vegas, les mains noircies par les pièces qu’ils ont perdues. Monstre d’ironie, Ridgway n’est jamais meilleur que lorsqu’il se laisse aller à l’évocation mélancoliq­ue de ces vies de misère. En fond sonore, la mélodie répétitive avance droit devant elle, comme anesthésié­e par le malheur ordinaire de ces deux héros. Elle suit le “Call Of The West”, la boîte à rythmes se fait serpent à sonnette et, là-bas, derrière les collines de guitares, on jurerait entendre un coyote qui hurle à la mort. Mieux vaut décidément ne pas trop traîner dans le coin. ALEXIS BERNIER

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