Rock & Folk

Françoise Hardy

“LA QUESTION” Hypopotam

- ALEXANDRE GIMENEZ-FAUVETY

Au début des années soixante-dix, Françoise Hardy est au creux de la vague commercial­ement. En procès avec son ancien label, Vogue, elle ne récupère qu’une mince partie de ses droits. Elle conclut un contrat de distributi­on avec Sonopresse et créé sa société de production et d’édition. Elle jouit ainsi d’une indépendan­ce financière et d’une grande liberté artistique, mises à profit dans “La Question”, publié en 1971. Faute d’une promotion suffisante, les ventes ne suivent cependant pas ; un tort tant l’album est beau à pleurer et picote les tréfonds de l’âme. Il en émane, en effet, un bourdon brumeux, écho scintillan­t d’une artiste au zénith de ses moyens. Les années yéyé sont derrière elle. A la charmante naïveté des débuts contraste désormais la maturité nuancée, et parfois maussade, d’une chanteuse établie. “La Question” est aussi une rencontre singulière, muée en folle amitié artistique avec la guitariste brésilienn­e, mais installée à Paris, Tuca. Cette dernière compose la majorité des mélodies de l’album. Seule “Doigts”, de la main de Hardy et “Rêve”, empruntée au chanteur brésilien Taiguara ne portent pas sa signature. La douceur de la bossa nova imprègne “La Question” autant que les errances de Nick Drake. Le jeu gracieux et aérien de Tuca offre un écrin somptueux à la voix frêle de l’artiste française. Les arrangemen­ts sont à l’unisson. La contrebass­e de Guy Pedersen égraine, avec parcimonie, les notes créant un filigrane feutré, présent sans être écrasant. Rythmes et batterie ne font que de modestes apparition­s notamment sur l’ouverture “Viens”. Parfois, des cordes soulignent des détails, sans noyer les mélodies, appuyant une mélancolie omniprésen­te. Les prises instrument­ales, de Bernard Estardy, sont également admirables : précises, chaudes, elle conservent, presque un demi-siècle plus tard, une beauté diaphane. Il faut ainsi écouter le souffle parcourant “La Chanson D’O”, créant une intimité et une proximité troublante. De l’incroyable “Mer” jusqu’à l’émouvante “Oui Je Dis Adieu” en passant par les volutes hispanisan­tes de “Si Mi Caballero”, “La Question” offre une des créations les plus ambitieuse­s, sensuelles et graciles de l’Hexagone, un véritable chef-d’oeuvre brillant autant par l’élégance de ses compositio­ns, que l’économie et la justesse de leur présentati­on.

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