Françoise Hardy
“LA QUESTION” Hypopotam
Au début des années soixante-dix, Françoise Hardy est au creux de la vague commercialement. En procès avec son ancien label, Vogue, elle ne récupère qu’une mince partie de ses droits. Elle conclut un contrat de distribution avec Sonopresse et créé sa société de production et d’édition. Elle jouit ainsi d’une indépendance financière et d’une grande liberté artistique, mises à profit dans “La Question”, publié en 1971. Faute d’une promotion suffisante, les ventes ne suivent cependant pas ; un tort tant l’album est beau à pleurer et picote les tréfonds de l’âme. Il en émane, en effet, un bourdon brumeux, écho scintillant d’une artiste au zénith de ses moyens. Les années yéyé sont derrière elle. A la charmante naïveté des débuts contraste désormais la maturité nuancée, et parfois maussade, d’une chanteuse établie. “La Question” est aussi une rencontre singulière, muée en folle amitié artistique avec la guitariste brésilienne, mais installée à Paris, Tuca. Cette dernière compose la majorité des mélodies de l’album. Seule “Doigts”, de la main de Hardy et “Rêve”, empruntée au chanteur brésilien Taiguara ne portent pas sa signature. La douceur de la bossa nova imprègne “La Question” autant que les errances de Nick Drake. Le jeu gracieux et aérien de Tuca offre un écrin somptueux à la voix frêle de l’artiste française. Les arrangements sont à l’unisson. La contrebasse de Guy Pedersen égraine, avec parcimonie, les notes créant un filigrane feutré, présent sans être écrasant. Rythmes et batterie ne font que de modestes apparitions notamment sur l’ouverture “Viens”. Parfois, des cordes soulignent des détails, sans noyer les mélodies, appuyant une mélancolie omniprésente. Les prises instrumentales, de Bernard Estardy, sont également admirables : précises, chaudes, elle conservent, presque un demi-siècle plus tard, une beauté diaphane. Il faut ainsi écouter le souffle parcourant “La Chanson D’O”, créant une intimité et une proximité troublante. De l’incroyable “Mer” jusqu’à l’émouvante “Oui Je Dis Adieu” en passant par les volutes hispanisantes de “Si Mi Caballero”, “La Question” offre une des créations les plus ambitieuses, sensuelles et graciles de l’Hexagone, un véritable chef-d’oeuvre brillant autant par l’élégance de ses compositions, que l’économie et la justesse de leur présentation.