Rock & Folk

Paul McCartney

“RAM” APPLE

- LéONARD HADDAD

A son corps défendant, voici l’un des disques les plus clivants de l’histoire du rock. L’objet du drame : nous sommes en 1971 ; tandis que leurs singles solos chantent la paix et la douceur de Dieu dans les charts, les ex-Beatles s’entredéchi­rent devant les tribunaux. Seul contre tous, McCartney a sorti l’année précédente un album fait à la maison de quasi-démos. “Ram” ne sera pas du même tonneau. Mais alors pas du tout. George Martin fait les orchestrat­ions (non créditées), il y a des medleys (“Uncle Albert”/ “Admiral Halsey”), des semi-suites (“Long Haired Lady”, “Back Seat Of My Car”), des choeurs chantilly (“Dear Boy”), des hurlements dingos à la Screamin’ Jay Hawkins (“Monkberry Moon Delight”), des fragments adorables à l’ukulélé (“Ram On”). On dirait une bouche à incendie cassée, d’où ne jailliraie­nt pas des jets d’eau mais des torrents de mélodies, d’invention, de folie. Inspiré, Paul en profite pour régler quelques comptes, avec trois autres Anglais et une Japonaise (“Too Many People” et “3 Legs”, bénéfician­t des inimitable­s harmonies crécelle de sa femme Linda). Les deux scarabées (beetles) qui se montent dessus sur la pochette ne sont pas là non plus pour propager un message d’amour, mais bien pour dire à certaines personnes qu’elles peuvent aller se faire foutre. C’est bien beau tout ça (très très beau, même). Pourtant, dans Rolling Stone, Jon Landau décrit Ram comme “le nadir de la décomposit­ion du rock sixties”, l’envoyant ainsi à la poubelle de l’histoire, en une année 1971 dominée par “Imagine”, “Sticky Fingers”, Led Zeppelin IV, “Who’s Next”, “What’s Going On”, “Electric Warrior”, “There’s A Riot Goin’ On” et le concert pour le Bangladesh. McCartney est accusé d’être un rock’n’roll traître, osant chanter l’herbe fraîche (“Heart Of The Country”), le cunnilingu­s (“Eat At Home”) et la mauvaise haleine (“Smile Away”) quand les temps sont à la révolution. Salaud de Paul ! Longtemps après, la vérité éclatera au sujet de cette opération punitive téléguidée par le rédac’ chef Jann Wenner, accessoire­ment membre du premier cercle de John Lennon, ce dernier ayant décrété que le rock serait “relevant” ou ne serait pas. Le mal était fait. Du jour où cet article a été publié, il a été gravé dans le marbre que le rock devait se prendre au sérieux pour être jugé valide culturelle­ment. Près de cinquante ans après, Jon Landau a beau avoir présenté ses plus plates excuses et le miracle pop de “Ram” été à peu près réhabilité, cette tarte à la crème nous empoisonne toujours la vie.

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