The Smiths
“THE SMITHS”
Quelques semaines de 1984 suffirent pour qu’une nouvelle et terrible ligne de démarcation traversât la cour du lycée. Chaque recréation donnait le signal d’homériques batailles. D’un côté les fans immédiats, de l’autre les détracteurs viscéraux. Le premier album des Smiths ne laissait pas indifférent. Ce groupe qui restera pour certains l’égal pop des Beatles et T Rex de la génération précédente naquit à Manchester de la rencontre alchimique entre un guitariste prodige, Johnny Marr, et un chanteur, Morrissey, coincé entre son exubérance de folle tordue et sa timidité maladive. Garçon fragile, marqué à vie par le divorce de ses parents, Steven Patrick Morrissey, anglais jusqu’à la caricature, traversa la tempête punk mancunienne en idiot du village décalé et méprisé. Attendant son heure, préparant sa revanche en écrivant sous pseudonyme des chroniques à la gloire des Buzzcocks pour l’obscur Record Mirror (le New Musical Express ayant plus d’une fois refusé ses services), Morrissey empruntait à ses idoles Oscar Wilde ou Joe Orton (l’auteur de théâtre des années 60) ainsi qu’à quelques faits divers locaux la matière de ses premiers textes. Johnny Marr, le meilleur guitariste du monde eighties, le sortit de son enfermement pitoyable en lui composant une pop ligne claire, faite d’accords luxueux et d’énergie bouillonnante. Un écrin de cristal en merveilleuse adéquation avec l’univers homo-érotique de son compère qui mystérieusement refusa toujours de reconnaître son évidente homosexualité. Avec sa pochette à la gloire du corps masculin, le torse impeccable de l’acteur warholien Joe Dalessandro, ce premier album dans lequel Morrissey s’interroge gravement (“L’esprit gouverne-t-il le corps ou est-ce le corps qui contrôle l’esprit ?) imposa d’emblée les Smiths. En quelques concerts événements dont un Eldorado parisien mythique où le dégingandé Morrissey se flagellait à grands coups de glaïeuls, ils devinrent le groupe d’une génération. La suite, jusqu’à la traumatisante séparation fin 1987, fut à la hauteur des espoirs suscités par ces débuts en fanfare. La musique des Smiths excitante et brillante autant que précieuse et exaspérante marqua son temps et donna naissance à une kyrielle d’ersatz impossibles. Trente ans après, l’Angleterre ne s’en est toujours pas remise. ALEXIS BERNIER