Bérurier Noir
“CONCERTO POUR DéTRAQUéS !”
Les gros rouages du rock français assagis, récupérés ou mourants, le paysage musical hexagonal jouait Waterloo morne plaine et s’enfonçait dans une déprime ronronnante, lorsque le miracle se produisit via les squats, pépinière d’une nouvelle bande d’agités. Non pas une génération spontanée surgissant de nulle part, mais le résultat d’une évolution en marche depuis les premières émotions punk exprimées de ce côté-ci de la Manche. Ce qui paraissait vide n’était qu’attente, le silence précédait la violence de l’attaque. Derrière chaque arbre chacun affûtait ses guitares et la forêt était immense, abritant ses Gougnafiers, ses Bouchers, ses Hot Pants et bien d’autres. Une grande famille en mouvement dont certains, cachés sous un nom de héros franchouillard repeint couleur anarchie, commençaient à donner les premier coups de genoux d’un pogo communicatif. Bérurier Noir. “Il tua son petit frère, il n’avait jamais vu la mer.” Violente et absurde, entendue sur une radio libre aujourd’hui défunte et déjà brouillée à l’époque, cette phrase et d’autres par bribes c’était le premier symptôme. La mer, on l’avait vue, sans doute, mais pas cette vague-là. Musique obsédante, minimaliste, répétitive, comme les vagues justement, sacrément houleuse, sur fond de banc de sable mouvant. Des sons tordus balancés par un robot-rythme, une guitare primitive et un saxo complètement anachronique dans le rôle de la corne de brume métissée de souvenirs Dim. Sans oublier le sifflet. Un sifflet à couper le sifflet, traditionnel symbole des forces de l’ordre détourné pour retourner la meute, de la chasse au renard à l’émeute. Un chant scandé, des textes étranges entre utopies et cauchemars, loufoquerie et manifeste.
Des chansons collectives, des mots à cracher en choeur. Un drôle de cocktail détonnant qui ranimait tout à la fois la flamme des rebelles aphasiques et celle des fêtards asthéniques, une sacrée décharge de courant (alternatif évidemment) qui donnait envie de bouger, tout simplement. Un album, à fleur de macadam, un concerto pour la raïa, un grand cirque pour détraqués, un espoir pour les agités, un feu pour tous les allumés.
EMMANUELLE DEBAUSSART