Elliott Smith
“EITHER/ OR” KILL ROCK STARS
Gus van Sant ne s’était pas trompé lorsqu’il avait insisté pour inclure quelques extraits de ce “Either/ Or” dans la bande-son de son film “Good Will Hunting”. Même utilisées de manière sporadique, les quatre chansons d’Elliott Smith choisies correspondaient si précisément à l’idée d’innocence brisée que le personnage de Will traînait comme un fardeau qu’elles finissaient par sembler omniprésentes. Chose rarissime, ces chansons véhiculaient naturellement, et mieux que les acteurs euxmêmes, tout ce que le film cherchait visiblement à dire. Une aubaine pour le réalisateur, mais également un énorme coup de pouce du destin pour ce jeune compositeur de Portland. Car c’est grâce à la présence de “Between The Bars” et quelques autres dans la BO du film de Gus Van Sant qu’Elliott Smith allait se voir offrir un contrat juteux (moyens considérables et liberté artistique totale) avec Dreamworks, le label américain le plus sélect (Eels, Rufus Wainwright...) de l’époque. Evidemment, tout ne tombait pas du ciel, comme par enchantement, pour Elliott Smith, et ce qu’avait reconnu Van Sant sur “Either/ Or”, c’était avant tout l’un des plus subtils songwriters de sa génération. Car, derrière cette voix douce, souvent effacée et presque fuyante, Elliott Smith se révélait un redoutable ciseleur de mélodies également capable de réelles audaces harmoniques. Or, si toutes ces qualités allaient naturellement éclater dès l’année suivante grâce à la production opulente de “XO”, son premier album pour Dreamworks, c’est peut-être ce “Either/ Or” qui restitue le mieux la singularité et l’importance des chansons d’Elliott Smith. Même enregistrées dans un dépouillement approchant souvent les caractéristiques du home recording, les “Alameda”, “Pictures Of Me”, “Rose Parade” et autres merveilles demeurent intouchables, précieuses comme autant de preuves indéniables d’un talent encore à l’état sauvage et à l’aube d’une éclosion définitive. A leur manière, “Ballad Of Big Nothing” (peut-être sa meilleure chanson) et ses petites soeurs dressent également une sorte de portrait touchant d’une jeunesse américaine égarée et désespérée qui n’est pas sans offrir un écho fragile au nihilisme cinglant des hymnes de Nirvana sur lesquels s’étaient ouvertes les années 90. De Kurt Cobain à Elliott Smith, le bilan n’est pas tout rose pour l’Amérique post-reaganienne.