Sonic Youth
“DAYDREAM NATION”
ENIGMA
Pour beaucoup, cet album est le meilleur de Sonic Youth. Si Thurston Moore et Lee Ranaldo, qui à l’approche de la quarantaine s’intéressent plus à John Cage qu’à Hüsker Dü, ne sont probablement plus de cet avis, tous les amateurs de rock alternatif en possèdent au moins deux exemplaires. Soyons clair, “Daydream Nation” est l’une des pièces maîtresses de l’avènement de ce rock indé qui nous a occupés tout au long des années 80 et une petite partie de la décennie suivante. Une sorte de monument à la guitare et aux jeans déchirés enregistré par quatre intellos ironiques pour qui le hardcore est la forme ultime de l’art contemporain. C’est également un disque charnière. Après des années de no wave aussi arty qu’extrémiste, les NewYorkais commencent à se faire moins bruitistes. L’arrivée de Steve Shelley, batteur plus carré, les y encourage. Après “Evol” en 1986, “Sister” en 1987, “Daydream Nation” clôt, l’année suivante, une trilogie nettement plus abordable que les premières décharges de bruit blanc et annonce deux albums plus commerciaux chez la major Geffen, où ils signeront l’année suivante. Pour l’instant, le groupe se méfie toujours du songwriting de papa et s’amuse a étirer ses morceaux comme si Grateful Dead s’était mis au punk rock. Pratiquement aucun morceau de ce double album — ce n’était pas encore vraiment l’époque du CD — ne fait moins de cinq minutes. Pourtant, jamais “Daydream Nation” ne ressemble à une jam session complaisante. Les compositions sont d’une telle fluidité que cela revient a écouter un album pop. Un disque de pop méchamment burnée tout de même. A écouter ces guitares qui sonnent comme des tronçonneuses frénétiques, on se dit que Lee Ranaldo et Thurston Moore ont dû fréquenter pas mal de pirates du Velvet Underground. L’ombre du Neil Young de “Zuma” plane également sur ce disque. Et puis il y a les voix de Kim Gordon et Thurston Moore, à la fois butées et désabusées, qui apportent une note mélancolique à ce maelström de bruit et de fureur. Mais surtout, “Daydream Nation” contient le plus étrange morceau de Sonic Youth : “Providence”. Une pièce fantomatique qui préfigurait bien des expérimentations techno ambient à venir.