Bruce Springsteen
“BORN TO RUN” COLUMBIA/ SONY
Après deux albums sans succès, Bruce Springsteen touche le jackpot avec “Born To Run”, obtenant simultanément la reconnaissance des médias (“Le futur du rock’n’roll”) et du public. Son ambition de combiner “la qualité des chansons de Dylan avec une production à la Phil Spector” se réalise : les chansons sont excellentes et la production grandiose, évoquant le fameux mur de son, avec deux claviers (orgue et piano) et un saxophone, tout le monde à fond. Pourtant, le E Street Band n’est pas encore cité sur la pochette et Bruce joue toutes les parties de guitare. Steven Van Zandt ne se charge pas encore de le seconder, même s’il est déjà là, dans les choeurs du fabuleux “Thunder Road” d’ouverture, et aux arrangements de cuivres de “Tenth Avenue Freeze-Out”, superbe titre soul qui deviendra l’un des favoris du public en concert. Ce qui frappe d’emblée, c’est le son, énorme ! Tout est épique, lyrique, à l’image de l’écriture de Bruce Springsteen. Si Bob Dylan est un poète, Bruce est plus un novelliste. Chaque chanson est une petite histoire, évoquant une Amérique mythique en train de disparaître, celle de “West Side Story”, mettant en scène des héros du quotidien, travailleurs déchirés entre leurs rêves d’évasion et leur quotidien blême, entre virée dans les rues de la grande ville et amours désenchantées. Le résultat sonne comme un Van Morrison survitaminé produit par un Phil Spector déchaîné. L’influence de l’Irlandais est immense, notamment sur “Backstreets”. Quant à Spector, on ne comprend pas pourquoi il n’a jamais produit le Boss... On connaît l’histoire. L’album a mis un temps fou à voir le jour, entre bagarre de managers et perfectionnisme de son auteur. Rien que la chanson titre lui a pris une éternité. Mais quelle chanson ! Une pure merveille, parfaite, avec sa fausse fin. Si Bruce Springsteen n’avait jamais enregistré que celle-ci, il serait un géant mythique. Mais il en a fait un paquet d’autres. A une époque où le rock s’endormait, cet album débordant d’énergie fit l’effet d’une véritable bouffée d’oxygène.