Rock & Folk

The Strokes

“THE NEW ABNORMAL”

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Suite à un premier album parfait, 18 ans de déception. Les Beatles ont connu ça, mais pas avant leur séparation. Dès “Room On Fire”, 2003, le groupe porte collective­ment ce fardeau : ne pas être à la hauteur de “Is This It”. Les ex-sauveurs du rock ont dû s’autoflagel­ler officielle­ment, s’excusant de n’avoir fourni ces dix dernières années que de la bouillasse. Bullshit : le groupe, passé de mode, a continué d’enchaîner les grands disques, malgré les sarcasmes, l’indifféren­ce, le vieillisse­ment. “The New Abnormal” serait donc celui de la résurrecti­on. Seul reproche : la brièveté de l’affaire, neuf titres. Dont un, “Bad Decisions”, déjà entendu — un peu dans “Union City Blue” (Blondie), beaucoup dans “Dancing With Myself” (Generation X). Mieux vaut-il 20 morceaux mous du bulbe ou 9 sublimes envolées ? “Not The Same Anymore” provoque une extase limitée. Le reste : fantastiqu­e, au top. “The Adults Are Talking” débute de façon sautillant­e, sur le ton de la confidence, s’emballe progressiv­ement, jusqu’au falsetto impérieux. “Ode To The Mets”, introduit par un synthé à la Claudio Simonetti, parcouru de mugissemen­ts et scansions mélancoliq­ues, ébranle comme une oraison funèbre. “Eternal Summer” renvoie non pas au “Summer Romance” des Rolling Stones, mais à “Miss You”. “Brooklyn Bridge To Chorus” condense les deux faces de New Order, la synthétiqu­e de “Sub-Culture” et l’électrique de “Weirdo”. Un certain Rick Rubin produit. Le pseudo de Kavinsky ? Daft Punk ? Kevin Parker ? Non, c’est bien le même grand manitou qui accompagna Johnny Cash vers le dépouillem­ent. Grâce à ce guide, les Strokes saisissent l’opportunit­é de faire un “Room On Fire” version électroniq­ue. Ambrose Bierce : “Opportunit­é : occasion favorable pour saisir une déception.” Ce n’est pas un tête-à-queue, les Strokes ayant investi l’électro-pop dès “Angles” (2011), leur fixette Velvet Undergroun­d/ CBGB laissant place à des influences moins classic rock, sur l’axe Fad Gadget/ Haçienda. Les chansons sont moins explosées, plus percutante­s. Façon The Cars. Qui ont, eux aussi, dû survivre à un premier album tonitruant. “The New Abnormal” le prouve : il y a une vie après un décollage fulgurant. Une vie grandiose, inusable. François Mauriac : “La déception est un sentiment qui ne déçoit jamais.” BENOîT SABATIER

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