Joy Division
“CLOSER”
FACTORY
L’histoire du rock fourmille de groupes météoriques dont l’influence musicale se fait encore sentir bien des années après leur disparition. Joy Division est de ceuxlà. Né à Manchester (l’une des plus sinistres cités industrielles de l’Angleterre) en fin d’effervescence punk, baptisé Stiff Kittens l’espace d’un concert, puis Warsaw le temps d’une démo et enfin Joy Division lorsque sortit en 1978 son premier maxi 4-titres “An Ideal For Living”, ce quatuor névrotique inventa à lui seul un nouveau génome rock qui fit immédiatement fortune, au point qu’il servit de modèle esthétique aux années 80 naissantes : la cold wave. “Here are the young men, a weight on their shoulders”, chantait gravement Ian Curtis, le leader épileptique et neurasthénique en conclusion de ce deuxième et ultime album de son groupe cafardeux qui porta tout au long de sa courte carrière le lourd poids de la vie sur les épaules. La musique de ce “Closer” est tout entière à l’image noir et blanc de sa pochette sépulcrale tant il règne ici une atmosphère de descente au tombeau. Fini la petite énergie des débuts, ces dernières compositions semblent résignées et étrangement distanciées. La basse de Peter Hook donne le la torturé sur un lit d’étranges distorsions de synthés d’où émerge à peine une guitare hésitant entre pureté cristalline et larsen permanent. La batterie de Stephen Morris claque sèchement et résonne en même temps. Membre virtuel de cette Division de la Joie (c’est ainsi que les nazis, pour lesquels Curtis avait une détestable fascination, appelaient les bordels ambulants qui suivaient leur troupes sur le front), Martin Hannett, producteur délirant et perfectionniste, est le responsable de ce son fantomatique sur lequel Ian Curtis n’avait plus qu’à déposer ses mots humains et sinistres. Chacun de ses textes évoque l’insupportable absurdité de l’existence et la honte de ne pouvoir l’assumer. Son spleen, Curtis ne le surmontera jamais. Le 18 mai 1980, à la veille de s’envoler pour une tournée américaine et avant même que ce disque ne soit publié, il se suicide. “Love Will Tear Us Apart”, le single inédit paru lui aussi postmortem, restera à jamais son testament. Ce titre lumineux qui ouvrait à son groupe de nouveaux horizons portait pourtant en lui bien des espoirs. ALEXIS BERNIER