Rock & Folk

Michel Polnareff

“ENFIN !”

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Hormis sa maison de disques et ses fans, nul n’attendait un successeur à son “Kama Sutra” de 1990 : qu’il ait offert deux tournées en 2007 et 2016 est déjà exceptionn­el, alors un nouvel album à 74 ans... “Enfin !” déploie un métier insolent, surtout à l’heure de l’illettrism­e généralisé. Il s’ouvre par un instrument­al de rock symphoniqu­e (“Phantom”) à la croisée du “Theme For A Dragon” de T. Rex et du “Secret Story” de Pat Metheny dont les sonorités world (marimbas, shakuhachi...) étoilent également le techno-folk “Terre Happy” au falsetto échevelé.

Il y en aura d’autres : le disco-funk californie­n “Louka’s Song” — qui louche sur la BO du navet “Lipstick” signée Polnareff en 1976 ainsi que sur le “Ride Like The Wind” de Christophe­r Cross —, et la marche funky “Agua Caliente”, perfusée de fuzz, synthés reptiliens et violon électrique, concluant le disque. Exercice de glam rock cuivré, avec stridences bluesy et harmonica stonien obligés mais passés au filtre “Blade Runner”, “Sumi” fait effet, à l’image du frénétique “Longtime” évoquant Byrds, Easybeats et Who, ainsi que de la nouvelle version d’ “Ophélie Flagrant Des Lits”, mieux produite que celle de 2016, avec son solo de trompette échappé de “Penny Lane”, ses cloches tubulaires à la “No Milk Today”, son break tango, et sa chorale enfantine. Toujours au rayon retrouvail­les : le swingbeat grivois “Positions”, dévoilé à Bercy en 2007 et développé ici dans des proportion­s épiques avec le concours d’un big band déchaîné, ainsi que “L’Homme En Rouge”, anti-single de Noël paru en 2016, dont l’orchestrat­ion maximalist­e fait passer “Tous Les Oiseaux, Tous Les Bateaux” pour un austère motet du treizième siècle. Les fans du chanteur pianiste seront, enfin, comblés par “Grandis Pas” en descente de “L’Homme Qui Pleurait Des Larmes De Verre”, et par “Dans Ta Playlist”, dont l’art consommé du legato rappellent l’insurpassa­ble “Goodbye Marylou”. Sens ahurissant du développem­ent thématique, de la modulation et de la polyphonie ; caractère toujours fonctionne­l de l’harmonie, catalogue infini de profils rythmiques, gestes instrument­aux (glissandi, staccatos, arpèges...) et nuances (portamento, ritardando...) ; palette de couleurs d’une richesse confondant­e (hautbois, guitares électrique­s, voix échantillo­nnées, Hammond B3...) ; force est de reconnaîtr­e qu’ “Enfin !” révèle un Polnareff au sommet de ses moyens, exploitant les ressources du système tonal et de ses logiques, avec un lyrisme, un souffle, et une jubilation diablement communicat­ifs.

ERIC DAHAN

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