Alexander Spence
“OAR”
COLUMBIA/ SUNDAZED
Définitivement parti à la fin du 20ème siècle, Skip Spence reste une icône américaine, même si l’homme est né au Canada. D’abord guitariste de Quicksilver Messenger Service, puis batteur de Jefferson Airplane début 1966, Skip Spence repasse à la six-cordes lorsqu’il cofonde Moby Grape. Avec ses trois guitares, le groupe de San Francisco définit le son de la ville sur son premier album, sommet de rock psyché aux harmonies venues d’ailleurs. Mais Spence pète les plombs un soir à New York et menace deux membres avec une hache à incendie. Emmené en HP, où il est diagnostiqué schizophrène, on lui administre des doses massives de chlorpromazine. Une fois sorti, il file à moto à Nashville enregistrer “Oar” en six jours. Skip Spence joue de tous les instruments sur ce disque destiné à n’être qu’une démo, mais son manager le confie tel quel à Columbia. De la mélodie aérienne de “Little Hands” au groove fantomatique de “Grey/ Afro”, chaque chanson jaillit de l’inexplicable pour s’échouer sur les rivages de nos subconscients abîmés. Entre blues rock cosmique et country folk minimaliste, sa musique épurée évolue sur le bord, mais captive pourtant par sa cohésion. “Oar” est l’oeuvre d’un grand malade, cramé par l’acide, l’héro et la cocaïne. Magnétique, avec une voix subtile et profonde, Skippy déploie dans l’écriture une poésie aussi sombre que celle de Syd Barrett. Ignoré à sa sortie mi-1969, réédité quelques jours avant sa mort en 1999 (avec un disque hommage où figurent Robert Plant, Mark Lanegan et Tom Waits), “Oar” constitue la noire pépite d’un artiste maudit dont le temps accentue l’éclat, son seul album solo et l’un des plus bizarres du cirque rock. Devenu clochard céleste, le compositeur ne remontera plus la pente, même s’il fait ensuite quelques fugaces apparitions avec Moby Grape. Skip Spence n’avait que vingt-trois ans au moment de la publication de “Oar”, et son futur était déjà derrière lui. Un bien beau futur, malheureusement.