Captain Beefheart And The Magic Band
“TROUT MASK REPLICA”
STRAIGHT
La tête du label-manager lorsqu’il a reçu ça... Imaginer un bureau classique sur les Champs-Elysées en 1969. On milite tranquillement dans un groupuscule de gauche, on vend du Beatles, du Pink Floyd, on croit avec ça faire un boulot subversif qui va saper les bases de la société bourgeoise honnie, quand vient un paquet en provenance des Etats-Unis. A priori sympathique : ça vient de chez Frank Zappa et de son nouveau label, Bizarre. Et là, on écarquille les yeux. L’allure des personnages posant sur la pochette de ce “Trout Mask Replica”... Z’ont dû prendre chez un fripier ce qui leur tombait sous la main, sans regarder, au hasard, des tabliers de boniche, des costumes d’opéra, des blousons d’aviateur, ont pris la pose, avec ce look infernal d’extraterrestres qui auraient mélangé les fiches à la rubrique habitants de la planète Terre avant de mettre en oeuvre la grande invasion. Et puis leurs noms. Zoot Horn Rollo. Rockette Morton. The Mascara Snake. Des aliens... La première commotion passée, le truc (un double album à l’origine) s’avère aussi déroutant à l’écoute. Des années plus tard, les choses ne se sont pas vraiment éclaircies : “Trout Mask Replica” est toujours un joyeux carambolage de Thelonious Monk dévoyé, de blues âpre, de Kurt Weill dynamité, de sauce pachuco (mélange épicé mexico-californien), avec clins d’oeil appuyés à Dolphy et toute la clique free-jazz newyorkaise. Mais ce n’est pas tout : si l’on veut bien comprendre Captain Beefheart, il faut se souvenir de Don Van Vliet, artiste peintre et chirurgien arborilogue. Attendu qu’il s’agit là du même personnage et que, quelque part dans son inspiration, Willem de Kooning, Salvador Dalí et Marcel Duchamp tiennent autant de place que Lightnin’ Hopkins, Woody Guthrie et Ornette Coleman. Zappa, ancien copain de classe devenu son producteur, lui aurait piqué pas mal d’idées (lui soutient évidemment que c’est le contraire)... comme plus tard, les déconstructivistes, Devo, Beck (pas Jeff, l’autre, le petit fils d’Al Hansen, génial auteur de happenings au milieu des sixties) et tant d’autres, pas toujours pressés de citer la source de leur inspiration. Mais Beefheart est indifférent à ses quelques épigones. Jeté par toutes les maisons de disques sérieuses, il s’est très vite remis à la peinture.