Rock & Folk

Grandaddy

“THE LAST PLACE” 30TH CENTURY/ COLUMBIA/ SONY MUSIC

- BASILE FARKAS

Tout commence à Modesto, ville dortoir glauque éloignée de l’Océan et paumée au nord de la Californie. Modesto n’est pas une bourgade réputée pour ses poètes : on lui doit quelques joueurs de baseball, un chef des Hell’s Angels (Sonny Barger) ou encore un champion du 200 mètres papillon (Mark Spitz)... Apparu dans les années 90, Grandaddy incarne le pendant inadapté et désoeuvré de la ville. Une bande de types un peu régressifs au dehors mais sensibles à l’intérieur. Ceux qui ont adoré “The Sophtware Slump” (2000), vénéré “Sumday” (2003) le savent : Jason Lytle est avant tout un songwriter extraordin­aire, un mélodiste délicat et inspiré. Le cinquième album de Grandaddy survient après beaucoup de mauvaises réunions de groupes nineties. Plutôt que renflouer les caisses ou susciter l’indifféren­ce, Jason Lytle s’est contenté de composer des chansons réussies. La première plage, “Way We Won’t”, résume à elle seule son artisanat grandiose : petit motif de synthé à deux doigts, guitares électrique­s étouffées avec la main droite et contre-chants proches du sublime. A quoi fait penser cette power pop ? Imaginons des Cars qui carburerai­ent au Lysanxia. Ou peut-être un Weezer sans les grosses guitares et le pathos. Grandaddy, certes, sonne exactement comme avant, mais personne n’a jamais sonné comme Grandaddy. Encore que le patron qui a continué de composer sur deux albums solo, semble même avoir progressé. Notre skater quadra épate, capable de bâtir un morceau à la Pixies mais chanté d’une voix susurrée (“Check Injin”), une ballade à la beauté hallucinan­te (“Songbird Son” qui parle semble-t-il d’une “blonde hitchcocki­enne”). Cet homme avant tout crée des mélodies sidérantes, comme celles d’ “Evermore” ou “The Dog Is

In The Barn” construit sur une suite d’accords kinksienne en diable. Il colorie ensuite avec sa palette habituelle : nappes de synthés analogique­s détraqués, couches de guitares saturées et toujours cette batterie simple comme les Ramones. On s’en doute, Jason Lytle est passé par quelques tourments et angoisses. L’album n’évoque que ça. Le fait de se sentir mal dans une nouvelle ville (“I Don’t Wanna Live Here Anymore”, qui évoque sa migration à Portland), la vie sentimenta­le en lambeaux, ou les joies de la déprime, narrées sur le moment de bravoure du disque, “That’s What You Get For Getting Outta Bed”. Une ballade où surgit d’un coup un son de synthétise­ur invraisemb­lable, une sorte de cornemuse MIDI réellement vilaine, mais qu’on finit par trouver magnifique, comme les onze autres plages du disque.

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