Bertrand Burgalat
“LES CHOSES QU’ON NE PEUT DIRE A PERSONNE” TRICATEL
Ecrire la critique d’un album de Bertrand Burgalat est un enfer. Trop complexe, trop riche, trop lettrée, à l’image de l’artiste qu’il est. On sait depuis toujours qu’un bon album n’est pas forcément la somme de ses influences, mais les influences sont tout de même bien pratiques pour raconter les couleurs et les sonorités, pour tenter d’expliquer. Avec Burgalat, c’est inenvisageable : l’homme aime trop de choses, et surtout, trop de choses différentes. En vrac, l’auteur compositeur apprécierait Kraftwerk, David Bowie, la soul, les Associates, les Stranglers, Maurice Ravel, Pink Floyd, Serge Gainsbourg, Michel Polnareff, Genesis, Soft Machine, Matching Mole et plein de choses de Canterbury, mais aussi une horde de compositeurs et arrangeurs de musiques de films ou de library. Ce à quoi s’ajoutent, car il n’est pas unidimensionnel, de nombreuses influences littéraires… On se souvient qu’aux débuts de Tricatel, les simples d’esprit avaient dégainé, comme un compliment, l’argument easy listening.
Une folie, dans la mesure où souvent, la musique de Burgalat est au contraire assez difficile : ses sinuosités mélodiques se méritent, cet art ne s’adresse pas aux feignants, et “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne” n’a, comme ses prédécesseurs, rien de lounge. Cet album démarre avec deux instrumentaux puis, pan ! la phrase la plus connue d’Antoine Blondin ouvre le bal : “Un jour, nous prendrons des trains qui partent”. Le départ est l’un des thèmes les plus chers à l’auteur et “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne” est conçu — c’est souvent le cas chez lui — comme un voyage. Avec des accélérations, des ralentissements, des haltes. On y voit défiler des paysages différents, comme dans les trains à l’époque où ils ne roulaient pas si vite. De station en station apparaissent cavalcades funky (“Etranges Nuages”) plus dansantes que tout Daft Punk et sans aucun Nile Rodgers à l’horizon (gloire au Dragon, guitariste dément, Stéphane Salvi), des hymnes d’une beauté radicale auxquels il a pris soin de n’ajouter aucune parole (“Tribunes Au Couchant”), des ballades en suspension (“36 minutes”), des choses qu’aurait bien aimé savoir faire Paul Weller à l’époque du Style Council (“Tour Des Lilas”), du funk eighties (“Ultradevotion”), un tube absolu de new wave 2.0 (“Coeur Défense”) et des moments de grâce où cet homme à la pudeur maladive se livre un peu (“L’Enfant Derrière La Banquette Arrière”, “Un Ami Viendra Ce Soir”), le tout aéré, ventilé par ces instrumentaux qui ont toujours été son point fort (“E L’Ora Dell’Azione”, “Tombeau Pour David Bowie” ou “Etude In Black” qui, naturellement, clôt l’album)…