Beechwood
“SONGS FROM THE LAND OF NOD” ALIVE/ DIFFER-ANT
Le premier, Gordon Lawrence, est un grand échalas blond, guitariste peroxydé aux traits androgynes. Le second, Isa Tineo, est un batteur métis, tatoué littéralement des pieds à la tête, LAMF sur le coeur et Ramones sur l’abdomen. Mis à la porte par leurs géniteurs, ils entament une vie de vagabondage, naviguant entre mauvaise dope, sexe tarifé et larcins plus ou moins répréhensibles. Ils forment alors ce solennel pacte : fonder un groupe. Rejoints par un bassiste surnommé Sid, ces misfits se taillent une réputation sulfureuse tant leurs concerts sont réputés chaotiques. Ces gars-là, de toute évidence, ne trichent pas. En 2014, un premier opus (“Thrash Glamour”) délivrait le son que l’on était en droit d’attendre d’un tel gang : crasseux, rageur, dominé par les prévisibles influences punk, New York Dolls et Stooges en tête. Quatre années plus tard, voici venir son successeur. Sur la pochette, les trois canailles posent à Brooklyn, moue dédaigneuse et fringues bigarrées. C’est l’Amérique des parias, des laissés pour compte. Les guitares sont lancinantes, les percussions hagardes et la basse navigue, ivre et paumée. Les titres sont souvent imprévisibles, tant dans leur structure que leur production, décharnée mais finement ciselée (piano, orgue, Mellotron). L’heure est à la contemplation, au doux rêve qui peut virer au cauchemar (“This Time Around”). Les textes évoquent un large éventail de sentiments : frustration, dépendance, dépression, paranoïa, félicité. On est manifestement en présence d’une oeuvre malade qui se place dans la lignée du troisième Big Star ou du “Berlin” de Lou Reed. Le Velvet Underground de “Heroin” est palpable sur “C/F”, déambulation somnambule et hantée, rythmée par une slide, qui s’accélère brutalement, accompagnée des obligatoires stridences. Le spectre souffreteux de Johnny Thunders fait irruption sur les bravaches “Melting Over You” et “I Don’t Wanna Be The One You Love”, dotées de guitares crâneuses. Le psychédélisme foisonnant de Syd Barrett et des Beatles de “A Day In The Life” sert de toile de fond à “All For Naught”, poignant constat d’échec adressé par Gordon à ses parents (“Je m’excuse pour l’amour que vous aviez peut-être pour moi”).
On goûtera aussi la reprise crépitante du manifeste “I’m Not Like Everybody Else” des Kinks. Ces dix titres passionnants s’achèvent avec la cryptique “Land Of Nod”, final sinueux et onirique d’un disque hautement toxique dont on ne ressort pas indemne.