Creedence Clearwater Revival
“COSMO’S FACTORY” FANTASY
Né rock’n’roller, John C Fogerty grandit en Californie du Nord, non loin de San Francisco. Mais pas assez près du Golden Gate pour y virer sa cuti en 1967, année où son groupe change de nom, préférant Creedence Clearwater Revival à Golliwogs pour nettement se démarquer des hippies flamboyants de la Baie. “Suzie Q”, reprise bodiddlesque de Dale Hawkins et première manifestation discographie de Creedence, parut l’année suivante : ce fut un raz-de-marée complètement à contre-courant, un pavé de viande rouge dans une mare de riz complet, l’Amérique puis l’Europe saisies aux noix par une pulsion antique et profonde qu’on disait démodée... Pendant quatre ans, tous les trois mois environ, Creedence sortira un single comme en mitraillait Elvis entre 1955 et son service militaire. La différence, c’est qu’entre 1968 et 1972, la plupart de ceux qui effectuaient leur service militaire étaient soit pauvres, soit Noirs, soit les deux, de toute façon dans le merdier vietnamien et uniquement reliés à la fiction de la mère patrie par les ondes... où défilaient ces singles de Creedence qui devenaient aux Boys ce que Sinatra et Basie avaient été pour leurs aînés : des coups de fouet, des rasades de vie. Ailleurs on dansait, on flirtait sur les chansons abruptes et sanguines de John Fogerty, qui semblait disposer d’un filon immuable autant qu’inépuisable. Mais Fogerty avait mieux à offrir : une humanité qui tuerait le groupe avant qu’il ne s’effondre et un chefd’oeuvre. Un album. Un album qui n’est pas qu’un écrin de plus pour quelques singles de mieux — quoiqu’il en contienne au moins trois, et pas des moindres, dont “Who’ll Stop The Rain” — mais bel et bien une plongée dans le ventre d’un homme charnellement uni à sa musique : du rouleau compresseur “Ramble Tamble” aux excavations caressantes de “I Heard It Through The Grapevine”, de “Ooby Dooby” à “Run Through The Jungle”, c’est tout le limon, toute la détresse et toute l’inexplicable énergie d’une âme trempée dans la bouse de son quotidien qui s’arrachent et s’envolent. Sur les ailes d’une voix comme cet homme, née, faite rock’n’roll. Cela dit, “Cosmo’s Factory” désigne une grange propice aux répétitions, pas un studio sur orbite.