Joe Cocker
“MAD DOGS & ENGLISHMEN” A&M
Ceux qui n’ont connu Joe Cocker que vieux, chauve, bedonnant et interprétant des chansons calibrées FM à grand renfort de productions synthétiques ne peuvent pas comprendre. En 1970, le chanteur à la voix incroyable est “hip”. Son premier album, “With A Little Help From My Friends”, a créé l’événement avec le titre du même nom, grande réussite (une des plus belles relectures d’une chanson des Beatles de tous les temps) et de flamboyantes adaptations de Bob Dylan ou de Traffic (“Feeling Alright”). Les musiciens sont parmi les meilleurs du monde (Jimmy Page, omniprésent et très tranchant, Stevie Winwood), et Joe Cocker chante divinement. En 1969, son mythique passage à Woodstock fait de lui une star du jour au lendemain. Au même moment sort son deuxième album, encore meilleur, presque intégralement constitué de reprises triées sur le volet : Bob Dylan, Leonard Cohen, John Lennon/ Paul McCartney, George Harrison, John Sebastian et Leon Russell (l’emblématique “Delta Lady”). Cette fois-ci, un groupe l’accompagne, le Grease Band, et on ne perd pas au change. Dans la foulée, Cocker doit partir en tournée aux Etats-Unis, mais ne peut emmener ses musiciens anglais — à part son fidèle pianiste, Chris Stainton. Leon Russell lui monte alors dans l’urgence une formation pléthorique. Trois batteurs ! Deux percussionnistes ! Neuf choristes ! Trois cuivres ! Deux claviers, un guitariste, un bassiste ! Les meilleurs, qu’on croise partout à l’époque (Carl Radle, Jim Gordon, Jim Keltner, Jim Horn, Bobby Keys, Jim Price, Rita Coolidge, Claudia Lennear, etc.), notamment sur le premier album solo de George Harrison produit par Phil Spector. On retrouve ici la même surenchère. Tout est énorme : le son, la ferveur, le nombre de participants, la consommation de drogues. Toute une époque. Le charme de quelque chose qui va bientôt disparaître du monde du rock, rattrapé par la rentabilité et la modération — concept totalement absent de ce double album live et du film du même nom qui documentent cette folie. Il y a évidemment un côté jukebox puisqu’on retrouve la plupart des titres précités, plus une bonne dose de Rolling Stones, Ray Charles, Otis Redding...
C’est à la fois fabuleux et épuisant, totalement confus et plein de soul, anachronique et merveilleux.