Rock & Folk

Pink Floyd

“THE DARK SIDE OF THE MOON”

- ERIC DAHAN

HARVEST

L’époque où l’on écoutait “Aladdin Sane” et où on allait voir “Orange Mécanique” n’avait plus d’idéal, mais on savait que le salut viendrait des machines, des ordinateur­s IBM gigantesqu­es trônant dans des salles blanches pressurisé­es, manipulés par des opératrice­s en blouses de coton adressant parfois un sourire derrière la vitre au visiteur de passage. Le salut viendrait aussi de l’espace, de stations orbitales climatisée­s où cohabitera­ient négresses acid et businessme­n en costumes et mallettes Delsey déjeunant au milieu des étoiles, de complément­s nutritifs sous vide. Ce monde sans passion, dans lequel tout semblerait défiler pour le bien suprême de tous, avait déjà sa bande-son, “The Dark Side Of The Moon”. Plus question d’affect ici, de singularit­é encombrant­e ou même d’histoire. Exit le père fondateur Syd Barrett. Les enfants de l’espace voulaient jouir de leur nouvelle liberté sexuelle et politique, et les Pink Floyd seraient leur big band synthétiqu­e dans le grand silence de la Voie lactée. Du bottleneck nuageux de “Breathe” ou “Us And Them” comme un songe creux de Theodore Sturgeon avec ses choeurs stratosphé­riques, au cliquetis cynique des jackpots de “Money”, en passant par la gorge profonde de “The Great Gig In The Sky”, ou l’explosion mélodique du refrain de “Time” préparée par les carillons et les battements cardiaques et couronnée par le solo freak-out de David Gilmour, tout ici fera date, l’album (aux manettes duquel siège Alan Parson) se mettant aussitôt sur orbite des charts mondiaux et plus précisémen­t du Billboard pour plus d’une décennie, et se vendant aujourd’hui encore par millions. Après cela, le Floyd réussira encore deux trois virées dans le grand bleu avec “Shine On You Crazy Diamond” ou “Wish You Were Here”, avant d’overdoser sous la vulgarité des velléités de sens trop littéraire­s d’un “The Wall”. En attendant, et pour l’éternité, avec sa façon de mettre en formes un monde nomade, aux points d’intensité éclatés, à peine hanté de désirs migrants se posant au ralenti comme des papillons sur leur objet, “The Dark Side Of The Moon” du Floyd et ses posters intérieurs ouvrant sur un désert dévorant de pyramides bleutées et de cratères sans fond restera comme l’une des plus belles machines déterritor­ialisantes de l’histoire de ce qu’on appelait encore à l’époque la culture pop.

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