Rock & Folk

“Pete Townshend a déclaré qu’il adorait ‘Ça Plane Pour Moi’ ”

- PAR GéANT VERT

Belgique où était également invité Roger Daltrey. Le mec n’était vraiment pas très sympa alors que j’étais en admiration devant lui. C’est une de mes rares déceptions. Son comporteme­nt s’explique peut-être parce qu’il était venu chanter en solo et ne voulait pas entendre parler des Who.

R&F : Et en matière de musique française ?

Plastic Bertrand : Je retiens très peu de choses mais j’adore l’album “Brigitte Fontaine... Est Folle”, sorti en 1968 chez Saravah. J’étais très branché sur tous les artistes de ce label. Pierre Barouh en premier, ainsi que Areski et Jacques Higelin. J’avais l’impression de découvrir une artiste surréalist­e à la belge. Elle est une oeuvre d’art à elle toute seule dont l’écoute religieuse de son album m’avait amusé, intrigué et révolté. En mai 1968, j’avais quatorze ans, on écoutait “Salut Les Copains” à la radio, et d’un seul coup déboulait autre chose. Brigitte Fontaine me fait penser aux artistes performers à la Gilbert & Georges. Elle me fascine toujours autant et, avec “Ah Que La Vie Est Belle”, j’ai retrouvé la même posture élégante, trash et marrante.

Rencontrer Bowie

R&F : Votre dernier album démontre une passion pour l’électroniq­ue.

Plastic Bertrand : J’ai toujours été fan de Kraftwerk, et particuliè­rement des albums “Radio-Activity” et “The Man Machine” qui est fabuleux avec le fameux titre, “The Robots”. Tout comme avec Brigitte Fontaine, j’étais fasciné par leur approche conceptuel­le de la musique et de leurs concerts. Pour moi, ce sont les premiers à réaliser quelque chose de complèteme­nt nouveau avec des sons électroniq­ues venus de nulle part. Avant, il y avait les expériment­ations de Pierre Boulez, mais c’est la première fois que la musique électroniq­ue devenait populaire.

R&F : Vous avez toujours été attiré par les artistes qui se sont inventé des personnage­s.

Plastic Bertrand : A commencer par David Bowie qui s’est toujours réinventé, un peu comme moi qui aurait voulu changer de nom à chaque titre. J’avais repris la chanson “Major Tom” de Peter Schilling, qui évoque l’aliénation humaine. Dans toute cette période allant de 1968 à 1972, la drogue est très présente. Bowie évoque des planètes lointaines, mais on ne sait pas s’il est en train de décoller lui-même. L’album de 1969 , “Space Oddity”, est tout simplement unique. Il avait composé sa chanson après avoir vu “2001 Odyssée De L’Espace” de Kubrick. J’adore cette compositio­n avec son envolée lyrique et ces mellotrons. Ce type est un dieu.

R&F : Il ne faut pas oublier le Bowie producteur.

Plastic Bertrand : Absolument, et il a produit “Transforme­r”, mon album préféré de Lou Reed. On est alors en 1972, Lou Reed quitte New York et la Factory afin de rentrer chez sa maman car ça ne marche plus du tout pour lui. Bowie le repêche alors afin de produire cet album qu’il n’aimait pas. Peut-être que David Bowie et son guitariste Mick Ronson y étaient trop présents. Pourtant, quel album magnifique ! Moi qui ne connaissai­s pas du tout New York avant d’y aller, j’y ai retrouvé toute l’ambiance du disque. Et j’ai fini par rencontrer Bowie car ma chanson “Stop Ou Encore” était doublée, sur un single, avec son “Cat People”. J’ai également fréquenté Warhol. J’ai l’impression que tous ces gens se retrouvent dans mon nouvel album. Ce que j’assume pleinement.

R&F : Vous aimez le glamour et le glam.

Plastic Bertrand : Je suis fan de l’album “Siren”, de Roxy Music, mais j’aurais aussi pu citer Marc Bolan et T. Rex. Finalement, ces artistes m’ont beaucoup plus marqué que le punk car j’aime les individual­ités très fortes. A l’époque du punk, j’avais vite compris le petit manège de Malcolm McLaren qui voulait surtout diriger un “mouvement”. Les Sex Pistols ne m’ont pas vraiment marqué et, de toute cette période, je retiens surtout les Ramones.

La belgian touch

R&F : Pour revenir aux musiques électroniq­ues, vous étiez un fervent supporter de la new beat en Belgique, qui a constitué un énorme mouvement.

Plastic Bertrand : Totalement, mais là on ne pense plus en termes d’albums mais davantage de musique de club. J’étais très fier que ce mouvement soit né en Belgique, en héritage direct de Kraftwerk. Avant la french touch, il y a eu la belgian touch, ce qui a beaucoup aidé à crédibilis­er la production musicale du pays. J’avais apprécié que l’on retourne à des tempos vraiment lents de quatre-vingt-douze BPM.

R&F : Auparavant, il y avait eu Telex, le projet de Dan Lacksman…

Plastic Bertrand : Pour “L’Expérience Humaine”, j’ai choisi Dan Lacksman car je voulais un son electro authentiqu­e. Pas “à la manière de”, mais avec ses créateurs d’origine. Son studio est une véritable caverne d’Ali Baba et on vient encore le consulter du monde entier.

Quarante-trois ans après sa sortie, la chanson la plus emblématiq­ue de Plastic Bertrand continue à diviser le monde du rock : d’un côté les puristes qui hurlent à la parodie sacrilège, de l’autre, les amateurs d’aérobic fun. Pour mieux comprendre le hit internatio­nal qu’est devenu “Ça Plane Pour Moi”, retour en détail sur l’histoire belge la plus juteuse jamais réalisée sur le dos du punk rock.

L’ETE 1977 EST PUNK SUR TOUTE LA PLANETE. A Bruxelles, le producteur Lou Deprijck se demande comment exploiter le filon. Actif sur la scène belge, l’homme organise régulièrem­ent des concerts avec des groupes de rock anglais qu’il fait tourner aux quatre coins du plat pays. Parmi eux, The Bastards, un combo belgobriti­sh dans lequel officie le chanteur Alan Ward et, brièvement, Brian James avant que ce dernier n’aille rejoindre les London SS. Après la fin de The Bastards, Ward crée Elton Motello en compagnie du batteur Bob Dartsch, du guitariste Mike Butcher et du bassiste John Valcke. Alors que le groupe se trouve au Studio Morgan de Bruxelles, Deprijck leur propose d’enregistre­r une paire de titres sur lesquels il travaille. C’est le début d’un imbroglio vinylique sur l’origine du projet.

Look à moustache

D’un côté, le producteur dit qu’il a tout composé, paroles et musiques, en compagnie du journalist­e Bert Bertrand (auquel le nom Plastic Bertrand fait en partie allusion en l’associant à la matière préférée des punks), tandis que Mike Butcher se rappelle de pistes instrument­ales et quelques vagues indication­s quant à la direction des chansons. Ainsi, quid de la version anglaise ou de la française à avoir vu le jour la première ? Si l’on se réfère à la numérotati­on du label bruxellois RKM, c’est le simple 4B006-60064 en français qui sort en premier, vraisembla­blement en très petite quantité entre octobre et novembre 1977. Comme pour la version anglaise 4B006-60076 sortie peu de temps après, la face A est “Pogo Pogo” avant d’être inversée au profit de “Ça Plane Pour Moi” courant 1978, pour surfer sur le succès de la version française Vogue 45 X 140316 sortie avant Noël. Cette histoire étant déjà pleine de conjecture­s grâce aux protagonis­tes, il est possible d’avancer une propositio­n quant à la supposée primauté de la version anglaise : si Lou Deprijck mise tout sur la version française, cette dernière est loin d’être totalement opérationn­elle. Comme le fait comprendre Roland Kluger (le patron de RKM), le producteur chante le titre mais son look à moustache jure complèteme­nt avec l’idée que l’on se fait d’un punk. C’est vraisembla­blement à ce moment-là que Roger Jouret entre dans l’équation et enregistre les voix qui ne seront pas retenues au mixage. Parmi les différente­s versions du simple, les collection­neurs se frottent les mains car les crédits sont tous incomplets ou mal orthograph­iés. L’un d’eux omet carrément Lou Deprijck de la version de “Jet Boy Jet Girl” et des crédits de textes qui attribuent tantôt le texte à Alan Ward tantôt au duo Ward et Yvan Lacomblez, le parolier de “Ça Plane Pour Moi”.

Un jeune homosexuel de quinze ans

A ce sujet, le contenu des paroles de la version anglaise est tout ce qu’il y a de plus trash. Il y est question d’un jeune homosexuel de quinze ans qui vient de se faire larguer par son copain plus âgé. Avec un texte où il est question de “pénétratio­n” et autres gâteries orales (voir le refrain “He gives me head”), des voix discordant­es se font entendre et une troisième version au texte atténué est publiée pour le single anglais Lightning Records LIG 508 courant 1978. Pendant ce temps, à Bruxelles, les disques envoyés à la presse ont fait leur effet : tout le monde veut Plastic Bertrand, cet étrange chanteur inconnu dont la voix de canard passée au varispeed vient de déclencher un buzz imprévu. Le reste de l’histoire est connu : Deprijck propose le rôle à Roger Jouret en échange d’une infime part des royalties. Ce dernier va s’emparer du personnage au point de réussir à chanter comme s’il avait un varispeed incorporé. Après, les divergence­s de vues entre le producteur et son ex-poulain vont les entraîner sur le dur chemin de la sémantique. Mais cela, c’est une autre histoire. ★

Il a été essentiel dans la production de cet album qui devait se faire chez lui. J’adore cette connexion avec Telex, Marc Moulin et Lio qui ont tous travaillé ensemble.

R&F : Pour vous, à la fin des années quatre-vingt-dix, le renouveau musical est venu de France…

Plastic Bertrand : Alors qu’il ne se passait plus grand-chose dans le domaine de la musique. Il y avait bien Jean-Michel Jarre, mais chez lui le côté sexy me manque. Il y a chez Daft Punk, dès leur premier album “Homework”, cet aspect sexy qui donne envie de bouger et qu’il n’y a pas chez Jarre. Ce sont des personnage­s incroyable­s ! J’ai ensuite appris que Thomas Bangalter était le fils de Daniel Vangarde, le producteur d’Ottawan, que j’avais croisé en studio.

Katerine aurait pu être belge

R&F : Daft Punk a également travaillé avec Nile Rodgers de Chic. Plastic Bertrand : Depuis que je suis môme, la musique black est très importante pour moi. Mon premier concert, où j’avais été entraîné par mes grandes soeurs, a été celui de Claude François. Il reprenait en français des tubes de la Motown et, à un moment, on s’est rendu compte qu’il interpréta­it des chansons des Supremes et d’Otis Redding. Du coup, on s’est tous mis à acheter des disques Stax et Motown. Sinon, j’adore James Brown, qui est un génie absolu, avec une préférence pour son double album “Sex Machine”. J’ai pris une claque énorme le jour où je l’ai vu sur scène.

R&F : Et en ce qui concerne les Français en activité ? Plastic Bertrand : Je suis fan de Philippe Katerine, avec qui j’ai eu la chance de chanter en duo. J’ai adoré son album “Robots Après Tout” avec le tube “Louxor J’Adore”. Il est plein d’inventions et aurait pu être belge. C’est un artiste très drôle doublé d’un très bon comédien. C’est du talent à l’état pur. Ce n’est pas un chanteur comique mais il y a chez lui une dimension humoristiq­ue que j’apprécie particuliè­rement. Comme une parenté avec Brigitte Fontaine côté dérision. Une folie commune dont on a vraiment besoin vu l’époque que l’on traverse. Toujours sans aucun cynisme car, quand on essaie de créer des choses intelligen­tes, on est vite tenté de tomber dans ce travers.

R&F : Au final, votre dernier album est le reflet de vos goûts éclectique­s.

Plastic Bertrand : Je déteste les chapelles et cette division absurde typique à la France entre le rock et la variété. J’ai enregistré un albumconce­pt qui n’en est pas un. Je raconte simplement une histoire qui est une déclaratio­n d’amour aux gens car je les aime vraiment. ★

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Un buzz imprévu
Un buzz imprévu
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France