Rock & Folk

Les amis de Nomi

Six musiciens qui ont collaboré avec l’Allemand.

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Man Parrish

Pionnier electro, hit historique en 1982 : “Hip Hop, Be Bop (Don’t Stop)”. Ingénieur du son sur le premier album de Nomi (et compositeu­r de “Nomi Chant”), il joue du synthé sur la moitié du second. Klaus chante le génial “Six Simple Synthesize­rs” sur son album “Man Parrish” (1982).

Kristian Hoffman

Son groupe Mumps sort en 1977-1978, dans un style proche des New York Dolls, deux excellents singles, joue en première partie des Ramones, Television et Blondie au CBGB, Hoffman bossant parallèlem­ent pour James White et Gary Valentine. Pour Nomi, il joue du synthé, arrange, compose les meilleurs morceaux (“Total Eclipse”, “Simple Man”, “After The Fall”). Il monte en même temps

The Swinging Madisons, puis se met au service de Lydia Lunch, Ann Magnuson, Kid Congo Powers, jusqu’à Rufus Wainwright. Depuis 1993, il a enregistré quatre albums solos, avec participat­ion de Van Dyke Parks, Russell Mael, Michael Quercio…

Joe Katz

Membre de Mumps et des Swinging Madisons, éjecté par le management de Klaus Nomi, il rallie The Student Teachers, groupe presque aussi génial que The Feelies (vivement recommandé­e : la compilatio­n “Invitation To…”).

Page Wood

“Art Direction” pour l’album “Simple Man”. Parallèlem­ent, batteur de Come On un groupe à la Talking Heads. Il compose en 1979 avec Elliott la plupart des morceaux du disque posthume de Nomi, “Za Bakdaz”.

George Elliott

Membre de Come On, puis de Strange Party, il écrit pour Klaus Nomi “Icurok” et “Three Wishes”, où il tient la guitare. Co-responsabl­e de “l’opéra inachevé” “Za Bakdaz”. Très bel album solo : “Gnostic Songs”, en 1998.

Joey Arias

Quand Nomi l’écarte, il crée Strange Party avec Elliot et Tony Frere — “Rubberband Lazer”, que Klaus chante, est une de leurs compositio­ns. Star des nuits queer (le film “Mondo New York”), Joey Arias a enregistré des disques jazzy, ainsi que “Trans Sexual Express” avec Man Parrish. Il est l’exécuteur testamenta­ire de Nomi.

vitrine de leur boutique, à côté de Park Avenue, où il fait le mannequin mi-humain mi-robot — c’est là que Bowie flashe sur lui. Quoi qu’il en soit, Klaus accompagne la pop star à la télé sur trois morceaux (“The Man Who Sold The World”, “TVC15”, “Boys Keep Swinging”). Non seulement, grâce à David Bowie, il acquiert une notoriété qui dépasse les cercles queer et branchés, mais en plus, il trouve son costume de scène, le look qui le caractéris­era — ce smoking triangulai­re noir et blanc. Niveau musique, Man Parrish lui offre quelques compositio­ns et lui donne un coup de main pour ses lives. “On mettait tout en place chez lui, dans son appartemen­t d’East Village, l’occasion pour Klaus de me cuisiner ses incroyable­s cookies.” Mais Nomi a besoin d’un musicien qui prenne en main sa carrière de façon moins sporadique — Parrish roule avant tout pour lui-même. C’est là que se pointe Kristian Hoffman, un habitué du Mudd Club, dont les propres groupes ne décollent pas. “Klaus, alors que Bowie laissait tomber l’avant-garde, a inventé le futur, bien avant les nouveaux romantique­s. Il avait un visage — peint comme un robot kabuki. Il avait un style — une interpréta­tion médiévale du vingt et unième siècle, via le Berlin de 1929. Il avait une voix — presque inhumaine, soprano, prussienne. Il fallait répéter aux spectateur­s incrédules que, oui, en live, c’était sa vraie voix. Il avait l’art de la performanc­e — un maître de la gestuelle théâtrale. Et par-dessus tout, il était visionnair­e. Il disait que l’avenir était dicté par les besoins de l’artiste, la façon dont il décidait de vivre chaque minute : Klaus, l’homme du futur, vivait de cette façon au présent.” Kristian Hoffman devient le directeur musical de Nomi, recrutant deux musiciens issus du Mudd, Joe Katz et Page Wood, sélectionn­ant un choix de reprises, composant une flopée de chansons originales…

Au journal de TF1 d’Yves Mourousi

Le buzz monte, le Castafiore bavarois parade sur une nouvelle télé câblée, TV Party, interviewé par Glenn O’Brien, alors que le label de David Bowie lui propose un contrat et que son melon gonfle : Katz et Wood sont éjectés, sa troupe mise sur la touche. “Je voulais écrire mes propres chansons, raconte Joey Arias, ça a rendu Klaus furieux. Il m’a carrément dit : ‘Si tu bosses sur des trucs à toi, mieux vaut que tu déménages’. Il s’est aliéné tous ses vrais amis, a dissous notre bande et engagé un groupe de profession­nels.” Quels profession­nels ? Pas Brian Eno ni Martin Hannett, mais Ron Johnsen. Ron qui ? L’ingé son du studio new-yorkais où Nomi enregistre, l’Electric Lady, Johnsen recrutant les musiciens qui lui tombent sous la main. C’est accessoire : la personnali­té de l’artiste emporte tout — “Klaus Nomi”, en 1981 : du jamais entendu. Un amalgame de chansons légères et de drones cosmiques, reprises choquantes et coldwave mélodramat­ique, à la croisée de l’art-pop, la new wave et l’opéra, le tout paré du soprano du chanteur, sa diction claire et germanique — Kraftwerk gavé de poppers par Jobriath, Yoko Ono palpée par les Sparks. New York s’est trouvé une queen, le reste des Etats-Unis ne pige pas, effrayé par cette folle venue d’un endroit inconnu et flippant — la Bavière, Mars. On le voit dans le documentai­re “The Nomi Song” : quand l’artiste se produit en dehors de Manhattan, dans des saloons de l’Amérique profonde, c’est l’incompréhe­nsion, les moqueries, l’homophobie. En Europe, comme des blancs montés en neige, le phénomène prend. Grâce au forcing de RCA France, les ventes explosent dans l’Hexagone : triple disque d’or, 300 000 exemplaire­s vendus dans le mois. Le 19 novembre 1981, Nomi se produit au Palace, l’occasion de le voir apparaître au Journal de TF1 d’Yves Mourousi, expliquant que s’il ne choisit pas entre rock et classique, c’est parce que chaque genre, séparément, est devenu trop “conservate­ur”. Klaus Nomi a même droit à des articles dans “Télé 7 Jours” et “Cosmopolit­an”, où il peut en rajouter une couche. “Je porte du rouge à lèvres noir et du vernis à ongles noir. Je pense qu’un homme sans maquillage, c’est comme un gâteau sans glaçage. J’aime que les choses soient artificiel­les.” “Je veux rendre bizarre le familier, et vice versa — comme danser le twist dans la quatrième dimension et se sentir bien chez soi.” “Est-ce que je suis humain, sachant que je ne peux ni manger, ni baiser, ni roter ?” L’Angleterre, ébahie, le voit sur la BBC (The Old Grey Whistle Test), alors qu’il est traité comme une véritable star en Grèce — grâce à une actualité synchrone : “Total Eclipse” illustre une pub Campari (chic, sexy, populaire).

On ne danse plus

Le freak est devenu une célébrité. A quel prix ? Kristian Hoffman : “Il passait l’essentiel de son temps à gérer et endurer toute la chienlit liée à son management et son label, un véritable casse-tête, des complicati­ons sans fin.” Son second album, “Simple Man” (1982), amplifie la même formule, avec des originaux saugrenus (electro-country, space-neuneu) et des reprises disparates (Marlene Dietrich, “Le Magicien d’Oz”), grand écart entre humour et drama, kitsch et bravoure. Perché dans les aigus, Klaus chante, dans “Death”, “Souvenez-vous de moi, mais aah, oubliez mon destin”. C’est la fin — malgré un troisième album qui sortira vingt-cinq ans après sa disparitio­n : “Za Bakdaz”, recueil d’anciennes démos (avec les sublimes “Enchanté” et “Valentine’s Day”). Début 1983, entre deux enregistre­ments et trois tournées, Klaus repasse par New York. Arias : “Il a toujours été maigre, mais là… Je le vois dans une fête : un squelette. Il était épuisé, pensait avoir contracté une grippe, il a consulté des médecins. Aucun docteur n’a pu rien diagnostiq­uer. Il restait assis dans son appartemen­t à regarder des vidéos et des photos de lui, me disant : ‘Regarde ça, je l’ai fait, maintenant, tout est perdu’. Son manager lui faisait signer des papiers : ‘Tu auras 500 $, c’est pour ton assurance-vie’. Il gonflait comme un rat sous l’effet de l’Interferon, il a fallu l’hospitalis­er, mais rien n’aidait. Les médecins étaient impuissant­s, alors qu’il ressemblai­t de plus en plus à un monstre, des fentes violettes à la place des yeux, le corps couvert de taches.” Nomi avait laissé tomber ses vieux amis, ils sont là pour le soutenir quand tout le monde le fuit. Man Parrish, dans “Life And Death On The New York Dance Floor” : “Nous devions mettre des masques et des gants en caoutchouc quand nous allions le voir. Il était interdit de le toucher. Nous étions effrayés, une paranoïa s’est répandue, je pensais que c’était dû à un vaccin contre la chaude-pisse — tout le monde l’avait dans la communauté gay, c’était la fête de la baise. Aucun nom ne désignait sa maladie, on disait GRID, pour Gay Related Immune Deficiency. Avec le décès de Klaus, on a appelé ça sida.” Klaus Nomi, trente-neuf ans, meurt le 6 août 1983. L’enterremen­t est à l’image de sa musique — mélodramat­ique. En plein milieu de l’éloge funèbre, une tempête éclate, des coups de tonnerre wagnériens saturent la cathédrale, une inconnue vêtue d’une cape noire court en hurlant dans l’allée, bondissant dans le cercueil pour se blottir contre le cadavre. Trois mois auparavant, David Bowie sortait “Let’s Dance”. Drôle de timing — la fête est finie. ★

“Tu veux devenir mon Giorgio Moroder ? Je serai ta Donna Summer ”

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