THE WHITE STRIPES
Jack White ne parle plus à personne, et voilà dix ans que Meg reste enfermée dans le mutisme. Des White Stripes, il ne reste aujourd’hui que la musique. Ça tombe bien, la première compilation du duo américain vient de sortir.
En couverture
L’excentricité extravertie de Jack et la simplicité introspective de Meg
L’époque où apparaissent The Strokes, The Rapture, Yeah Yeah Yeahs...
PAS DE REFORMATION EN VUE. Contrairement à d’autres légendes musicales avant eux, souvent éreintées par la critique au moment de leur retour, Meg et Jack White ne sont pas près de remettre le couvert. Vu l’ambiance, difficile de leur en tenir rigueur, mais il n’est pas interdit de s’interroger. Maintenant que les artistes ne vendent pratiquement plus de disques, et que des escroqueries numériques leur font les poches, la question reste de savoir ce que peut bien faire un musicien, sinon jouer de la musique ? Tant que les membres d’un groupe sont de ce monde, ne sont-ils pas les mieux placés pour décider s’il faut remettre ça ou non ? Tout le monde sait que Jack est partant et qu’il continue en solo, mais pourquoi Meg reste-t-elle aux abonnés absents ? Avant de remercier tout un chacun, “My Sister Thanks You And I Thank You: Greatest Hits” répond à la question que certains se posaient à l’époque : The White Stripes constitue-t-il un projet artistique avant d’être un groupe de rock ? La réécoute de ces vingt-six chansons jubilatoires permet de constater que c’est bien la deuxième option qui s’impose.
Apparus au tournant du millénaire, The White Stripes semblent avoir été l’ultime groupe de rock’n’roll. Celui qui, en pleine déferlante hip hop et électronique, est parvenu à amener la musique primitive à guitare électrique au vingt et unième siècle. A l’image d’une approche qui puise ses fondamentaux dans le blues et la country, mais aussi dans le garage punk de Billy Childish et des Flat Duo Jets, le son du groupe fait figure de glorieuse anomalie lorsqu’il se met à grincer dans un monde dominé par le son stérilisé de Britney Spears et Justin Bieber. On peut parler de résistance, et c’est l’époque où apparaissent à New York des groupes comme The Strokes, The Rapture, Yeah Yeah Yeahs… Sans excès, ni ironie, le duo parvient à imposer une esthétique enfantine au goût de menthe poivrée, mais beaucoup de mystères commencent à planer autour du binôme. Ce dont manque cruellement la musique à l’heure des réseaux sociaux et de la domination mondiale de Facebook/ Twitter/ Instagram. Jack White, qui n’a jamais eu de téléphone portable et ne traîne pas sur les réseaux sociaux, en connaît un rayon question mystère, et son groupe possède quelques particularités en sus. Comme les Cramps des débuts, il n’y a pas de basse dans les White Stripes, mais la récurrence
Comme les Cramps des débuts, il n’y a pas de basse dans les White Stripes
de trois éléments : voix-guitare-batterie ou voix-piano-batterie. Très vite, le groupe se forge une image minimaliste en rouge, noir et blanc, et s’engouffre dans une voie country blues alternative excitante, dans laquelle ne vont pas tarder à suivre d’autres formations quasi identiques comme The Black Keys, que Jack White n’aime d’abord pas, avant de changer d’avis.
Le nom de sa femme
Drôle d’histoire... Ils ne sont pas nombreux les groupes dont on se souvient des visages. Jack et Meg White se sont connus au Memphis Smoke, un restaurant dans lequel ils bossaient. Après avoir traîné quelques années ensemble, ils se marient en 1996. Tordant le cou aux conventions, John Anthony Gillis prend le nom de sa femme. Jack prétend qu’ils sont frère et soeur, alors qu’ils sont en fait mari et femme. Les spéculations vont bon train, et le guitariste expliquera plus tard que le but était de protéger au mieux leur couple. Parallèlement, il joue de la batterie dans le groupe cowpunk Goober & The Peas et devient ensuite guitariste de The Go, pour lequel il écrit quelques chansons du premier album, “Watcha Doin’ ”. Il joue aussi de temps en temps avec The Hentchmen et, plus régulièrement, avec Two-Star Tabernacle. Meg White est sans doute la plus étrange des deux. Planquée derrière sa batterie, revendiquant son attitude de débutante mal à l’aise à l’idée de s’asseoir dans la lumière, elle se lance dans l’aventure en 1997. Au gré de leur discographie, Meg chantera aussi timidement sur quelques chansons. Son truc est de jouer de la batterie dans l’ombre. Si Jack s’occupe de tous les autres organes, la frangine reste le coeur des White Stripes. Croisement féminin entre Bob Dylan et John Bonham, elle virevolte sur sa grosse caisse, cognant simultanément caisse claire et cymbales aussi méthodiquement que Moe Tucker du Velvet Underground. Son arrivée libère Jack et lui ouvre tous les chakras :
Meg lui permet de jouer blues. Bien sûr, les détracteurs s’en donnent à coeur joie, et Jack White qualifie les bas-du-front de sexistes. Dernier de dix enfants, et septième fils, il est né le 9 juillet 1975 et a été élevé dans une ambiance très catholique. Un homme impénétrable, à la fois simple et compliqué, qui incarne la quintessence du son américain.
La guitare de Robert Johnson
Jack fonde sa petite entreprise, Third Man Upholstery, une boîte de tissu d’ameublement, en compagnie de Brian Muldoon, un ami de la famille qui est batteur et avec lequel il tapisse des canapés. A l’intérieur des rembourrages, ils glissent le second single de leur groupe, The Upholsterers. La première apparition des White Stripes a lieu au Gold Dollar le 14 juillet 1997. Le groupe se voit alors totalement immergé dans la scène garage rock locale, aux côtés des Gories et autres Detroit Cobras. Pas facile, personne ne le prend au sérieux, mais il se montre déjà déterminé à suivre ses propres règles. A la maison, le groupe est d’abord moqué, avant d’être adoré, puis rejeté parce que devenu trop connu. The White Stripes sort deux quarante-cinq tours, “Let’s Shake Hands”, puis “Lafayette Blues”, qui énumère les noms des rues françaises à Detroit. Jack y fait déjà montre de son impressionnante imagination guitaristique, n’utilisant que du matériel ancien et ne jurant que par le son analogique. Avec une voix nasale et des paroles poétiques, aussi paranoïaques que sinistres, il utilise quelques armes principales pour laisser exploser sa colérique créativité : une Crestwood Astral des années 1970 sur le premier album, puis une JB Hutto Airline de 1964 qui va caractériser le son du groupe. The White Stripes s’illustrent souvent en acoustique, avec une Kay Archtop des années cinquante, demi-caisse pour les parties de slide (comme sur “Seven Nation Army”), mais aussi une Gretsch Rancher Falcon et une Gibson L-1 (la guitare de Robert Johnson) de 1915. Sur scène, le groupe, qui tient à garder sa spontanéité, joue fort et sans playlist, à l’intuition. Quiconque les a vus coller le feu
Meg estime avoir fait le tour de la question et se retire
aux planches n’est pas près d’oublier la dualité entre les mélodies et le rythme, l’excentricité extravertie de Jack et la simplicité introspective de Meg.
Embrouilles et jalousies
En 2001, une compilation voit le jour sous le nom “Sympathetic Sounds Of Detroit”, avec The Paybacks, Bantam Rooster et Clone Defects, enregistré dans le salon de Jack White sur huit pistes. La même année, il fonde le label Third Man. Pas du genre à se laisser faire, il casse la gueule au chanteur des Von Bondies au Magic Stick, un club de Detroit, fin 2003. C’est le début du cinéma : Meg et Jack apparaissent dans “Coffee And Cigarettes”, le film de Jim Jarmusch. Jack rencontre l’actrice Renée Zellweger sur “Retour A Cold Mountain”, avec laquelle il va rester un an. En 2004, le groupe sort “Jolene”, reprise définitive de la chanson de Dolly Parton, qui deviendra l’un des plus grands succès du duo en concert. Le Troisième Homme fonde The Raconteurs, avec Brendan Benson et deux membres de Greenhornes. Suite aux embrouilles et jalousies qu’il suscite à Detroit, il décide de lever le camp et déménage à Nashville. Courant 2006, il est fort question que Jack White produise ce qui allait devenir l’album du retour des Stooges mais, après avoir pesé le pour et le contre, Iggy Pop trouvera, lors d’une conversation téléphonique, Jack White “un peu trop plein de lui-même”, et Ron Asheton s’opposera catégoriquement à aller chez lui. De Beck à Jeff Beck, en passant par les Rolling Stones et Elton John, Jack White est alors le musicien que tout le monde s’arrache. Pour les besoins du film tordant “Walk Hard”, le surdoué guitariste joue le rôle d’Elvis Presley, sa principale inspiration vocale. Après “Icky Thump”, Meg estime avoir fait le tour de la question et se retire lors d’une tournée canadienne pour cause “d’anxiété aiguë”, annulant brutalement toutes les dates prévues au Royaume-Uni. Sur le tournage de la vidéo “Blue Orchid”, Jack White rencontre la top-modèle Karen Elson qu’il épouse en 2005. Le couple divorcera six ans après.
Votre platine n’est pas morte
Depuis la séparation des Whites Stripes, Meg White a complètement disparu de la circulation. Elle se marie avec Jackson Smith, le fils de Patti Smith et Fred “Sonic” Smith, mais le couple se sépare quatre ans plus tard. Pendant ce temps, Jack White enregistre “Another Way To Die” pour “Quantum Of Solace”, le vingt-deuxième James Bond, qu’il interprète avec Alicia Keys, et annonce en 2009 un nouvel album des White Stripes, mais Meg ne donne pas suite. Pour s’occuper, il passe à la batterie et crée The Dead Weather en compagnie de Alison Mosshart au chant et du multi-instrumentiste Dean Fertita. Parallèlement, il fonde à Nashville Third Man Records, avec ses potes Ben Swank (ex-batteur des Soledad Brothers), David Buick (exbassiste de The Go) et son neveu Ben Blackwell (voir encadré) où il installe ses quartiers généraux. Il crée son propre studio, mais aussi un disquaire et une salle de concert. Pas de Pro Tools à la baraque. Avec comme devise “Votre platine n’est pas morte”, Third Man presse d’abord un maximum de vinyles. En 2008, Jack White participe au film “It Might Get Loud”, un documentaire sur la guitare électrique aux côtés de Jimmy Page et The Edge. Le duo rouge et blanc se reforme l’année suivante pour jouer une version émotionnelle de “We’re Going To Be Friends”, avec Meg à la guitare, lors de l’émission Late Night With Conan O’Brien. 2009 marque aussi l’année de sortie du film “Under Great White Northern Lights”, qui narre les ultimes aventures du groupe au Canada.
Fin de l’histoire ?
L’année suivante, les White Stripes enregistrent leur dernière chanson en studio, “Rated X”, pour un album hommage à l’icône country Loretta Lynn. Suite au manque d’enthousiasme de Meg, le groupe met officiellement fin à l’histoire il y a précisément dix ans, en février 2011. La même année, Jack White produit l’album de la Reine du Rockabilly Wanda Jackson, “The Party Ain’t Over.” A l’époque de son premier album solo, Jack White avoue que jouer avec les White Stripes lui manque énormément. Meg ne répond pas à ses coups de fil, il faut qu’il passe la voir à Detroit pour parler un peu. Lui, continue et envoie de valeureuses chansons qui ne valent pas celles qu’il enregistrait avec elle, mais qui sonnent tellement mieux que la production musicale contemporaine. Il s’adjoint les services de deux groupes, l’un féminin, The Peacocks, et l’autre masculin, The Buzzards, mais arrête vite les frais. C’est au moment où sort son deuxième en solo, (“Lazaretto”, qui parle de quarantaine avant l’heure), que les heureux propriétaires d’un canapé découvrent dans le rembourrage un single des Upholsterers. Cet amateur de taxidermie en profite pour retapisser le canapé de Sam Phillips, des Sun Studios à Memphis, en rouge et bleu. En 2015, il participe aussi au lancement de la plateforme de streaming Tidal de Jay-Z, puis apparaît aux Muppets pour chanter “You Are The Sunshine Of My Life”, de Stevie Wonder. Il se coupe du monde au moment d’enregistrer son troisième album, dort sur un lit de camp et se rapproche des artistes hip hop. Bizarre, le résultat déconcerte, mais rappelle que Jack White n’a rien perdu de sa faculté à se renouveler. Que faire de l’électricité de Tesla ? C’est sur ses épaules, celles de Josh Homme et une poignée d’autres, que repose le truc. En attendant, Jack continue d’écrire seul la belle histoire vraie. ★