Rock & Folk

THE GEORGIA SATELLITES Un coffret rétrospect­if

“Nous étions un groupe de bar, ni plus, ni moins” En trois albums fulgurants, les Géorgiens ont imposé un son et un style. qui retrace leur parcours d’étoiles filantes, est l’occasion de revenir sur le groupe de Dan Baird et Rick Richards qui n’a peut-êt

- PAR CHARLES FICAT

TOUT A COMMENCÉ EN TROMBE POUR LES GEORGIA SATELLITES. À peine leur premier album paraissait-il en octobre 1986 chez Elektra, que le single “Keep Your Hands To Yourself” se hissait quatre mois plus tard à la deuxième place du Billboard. Un exploit en ces années 1980 où les groupes de rock pur et dur ne trouvaient leur place ni sur les ondes ni dans les charts. Il a fallu que Bon Jovi et son “Livin On A Prayer” leur fauchent le podium. Peu importe, le titre est désormais un classique et il ne fut pas un concert où son auteur, Dan Baird, ne l’interprétâ­t. Ce morceau, qui ouvre le premier album des Georgia Satellites, demeure leur marque de fabrique, la quintessen­ce d’un style et d’une attitude dans la plus pure tradition rock’n’roll. L’intitulé n’est pas sans rappeler le classique de Little Eva “Keep Your Hands Off My Baby”, mais revu à coups de guitares électrique­s et de rasades de bourbon. Intro à la guitare rythmique, voix lancinante, montée progressiv­e des autres instrument­s : tous les ingrédient­s pour un déluge électrique.

L’influence des Faces

C’est l’impression que laisse ce premier album impeccable, tendu à l’extrême. Après avoir cherché la formule idéale à travers plusieurs combinaiso­ns, le groupe se produit tous les lundis soir à Hedgen’s, un club situé dans la banlieue d’Atlanta. Sous la houlette du producteur Jeff Glixman (Kansas, Gary Moore, Saxon), lui aussi originaire de la capitale de Géorgie, Dan Baird et son complice Rick Richards enregistre­nt un EP, “Keep The Faith”, qui par l’intermédia­ire de leur manager anglais, Kevin Jennings, trouve un débouché au RoyaumeUni, où l’accueil est favorable. Le Melody Maker en rend compte élogieusem­ent. Sur cet EP de six titres, cinq compositio­ns sont signées Dan Baird : deux qu’on retrouvera sur le premier album (“Keep Your Hands To Yourself” et “Red Light”), deux sur le troisième (“Six Years Gone” et “Crazy”), “Tell My Fortune” et une reprise de “The Race Is On” popularisé par George Jones.

Dès 1985, les fondations sont en place. Ne manque plus que l’étincelle qui se produira lorsque deux cadres d’Elektra repèrent le groupe à Hedgen’s et le signent aussitôt. La compositio­n est alors la suivante : Dan Baird chant et guitare, Rick Richards chant et guitare, Rick Price chant et basse, Mauro Magellan batterie. De toute l’existence effective du groupe, elle n’évoluera pas. “Nous étions un groupe de bar, ni plus, ni moins”, se souvient Rick Richards. Leurs influences remontent à Chuck Berry, aux Rolling Stones, aux Faces, à Creedence Clearwater Revival ou AC/DC. Des quatre membres, seul Rick Price présente une véritable expérience de l’enregistre­ment en studio après sa participat­ion, au début des années 1980, au groupe d’Atlanta The Brains (où l’avait d’ailleurs rejoint Mauro Magellan). Cette initiation explique peut-être la fraîcheur et l’éclat de ce premier album. La machine est lancée, qui s’emballera très vite avec un succès colossal à la clé. Après le carton de “Keep Your Hands To Yourself”, le groupe enchaîne avec un autre tube : “Battleship Chains”, chanté par un Rick Richards déchaîné et martelé de guitares saturées — il s’agit d’un titre de Terry Anderson, qui l’enregistre­ra l’année suivante avec son groupe The Woods. L’album recèle d’autres merveilles comme “Railroad Steel”, “The Myth Of Love”, “Can’t Stand The Pain” ou “Golden Light”. A noter, en finale, la reprise d’ “Every Picture Tells

A Story” de Rod Stewart, qui souligne l’influence des Faces sur les Sudistes. Ce premier album restera leur plus gros succès : disque de platine, numéro cinq au Billboard. Il a tout du classique, de la photo iconique de la pochette en noir et blanc — Dan Baird en t-shirt, jean et Converse Rick Price portant une casquette d’officier entre les deux autres membres du groupe — à son titre d’ouverture. Son efficacité l’inscrit dans les oeuvres intemporel­les. Les concerts se succèdent à un rythme soutenu. Sur scène, le groupe déploie une spectacula­ire énergie. Ses prestation­s ne manquent pas d’impression­ner. C’est donc logiquemen­t que les Georgia Sattelites sont invités avec le groupe bostonien des frères Dan et Warren Zanes, The Del Fuegos, à accompagne­r Tom Petty et ses Heartbreak­ers pour leur tournée du printemps et de l’été 1987, baptisée pour l’occasion “Rock’n’Roll Caravan”. Quelques mois plus tard, lors de sa tournée européenne d’automne avec Bob Dylan et Roger McGuinn, il arrivera à Tom Petty d’ouvrir son set avec “Keep Your Hands To Yourself”. C’est dire si les Satellites sont devenus un groupe avec lequel il faut compter.

Le tout pour le tout

Dès lors, la pression s’accroît sur les Géorgiens, sommés par leur label de sortir un nouvel album. A leur tour de se trouver confronté au vieil adage : “Tu as une vie entière pour écrire ton premier album, deux mois pour écrire le second.” Le nouvel opus sort au printemps 1988. Si “Open All Night”, toujours produit par Jeff Glixman, s’inscrit dans la continuité de l’album éponyme, les critiques sont un peu en deçà de la réception du premier. Il constitue une sorte de pendant. Le choc est amorti, l’effet de surprise amoindri. “Open All Night” est un bon morceau, mais ne rivalise pas avec les singles précédents, de même pour le très pop “Sheila” qui lui succède. Dans l’ensemble, le disque, moins inspiré et original, rencontre un succès mitigé. Les deux reprises qu’il contient, les classiques “Whole Lotta Shakin’ ” et “Don’t Pass Me By”, apportent un peu de couleur dans un ensemble par trop uniforme. On notera la présence de Ian McLagan sur quelques titres, toujours l’influence des Faces. Leur véritable succès de l’année 1988 viendra d’une reprise inattendue et musclée du vieux tube de Chan Romero, “Hippy Hippy Shake”, qui figurera sur la bande originale du film “Cocktail”, avec Tom Cruise dans le rôle principal… En juin 1988, le groupe se produit à l’Astoria de Londres, prestation très attendue, devant Lemmy présent dans l’assistance.

S’ils veulent continuer, les Georgia Satellites doivent encore élargir leur répertoire, approfondi­r leurs thèmes. Ce sera tout l’enjeu du troisième album, “In The Land Of Sin And Salvation”, qui sortira en octobre 1989. Changement de producteur : exit Glixman. Le groupe fait cette fois appel à Joe Hardy, connu pour son travail avec ZZ Top depuis “Afterburne­r”. Le résultat déborde : quatorze titres au total. Album nettement plus long que ses prédécesse­urs, il montre que le groupe joue le tout pour le tout. Ian McLagan reprend du service aux claviers. Si l’ensemble porte la marque de Dan Baird, on note une compositio­n de Rick Richards (“Slaughterh­ouse”) et la reprise du “Games People Play” de Joe South. Les bons titres ne manquent pas : “I Dunno”, “All Over But The Cryin’ ”, “Six Years Gone”, “Another Chance”, “Dan Takes Five”. S’expriment une maturation de l’écriture et une ouverture musicale vers la country, le groupe évolue. Si l’oeuvre est bien accueillie pour son ambition et son ampleur, le public n’est pas au rendez-vous. L’album s’écrase dans les charts. Malgré une intensive tournée en 1989 et 1990 destinée à le promouvoir, cette fois, le destin des Georgia Satellites semble scellé. “In The Land Of Sin And Salvation” sera leur chant du cygne. La foi n’est plus là. L’époque a changé. Il n’y a plus d’avenir pour le groupe. C’est dans ce contexte que Dan Baird décide de quitter ses camarades en 1990 et d’entamer une carrière solo. C’est la fin des Georgia Satellites.

“Une vie entière pour écrire ton premier album, deux mois pour écrire le second”

Aucune reformatio­n

Deux albums de Baird paraîtront sous son nom, “Love Songs For The Hearing Impaired” (1992) et “Buffalo Nickel” (1996), chacun produit par Brendan O’Brien, respective­ment sur les labels Def American et American Recordings, où rôde l’ombre de Rick Rubin. Suivront deux disques avec les Yahoos, mais surtout, en 2007, il forme Dan Baird And Homemade Sin, où l’on retrouve à la batterie son ami Mauro Magellan qui jouait aussi sur ses albums solos, à la basse Keith Christophe­r, un vieux complice des premiers jours à Atlanta (aujourd’hui dans Lynyrd Skynyrd) et, à la guitare, le brillant Warner E Hodges (Jason & The Scorchers). Fort de cette escouade expériment­ée, Dan Baird donnera toute la mesure de son talent et tournera régulièrem­ent aux Etats-Unis, mais aussi en Europe où il a conservé une fervente base de fidèles, en particulie­r au Royaume-Uni, en Suède, en Suisse et en Espagne. Sur le label JCPL de Mick Brown, il sortira une dizaine d’albums intéressan­ts (studio et live), jusqu’à sa retraite de la scène en décembre 2019. Mais l’homme ne reste pas inactif, loin de là, puisque rien qu’en 2020, il a sorti trois albums ! L’un instrument­al avec Stan Lynch, l’ancien batteur ombrageux des Heartbreak­ers, un autre avec les Bluefields, un troisième enfin avec les Hangfires. La retraite est pour le moins active. Quant à Rick Richards, après la séparation du groupe, il collaborer­a avec Izzy Stradlin et ses Ju Ju Hounds et entretiend­ra avec Rick Price un groupe sous le nom de Georgia Satellites qui, sans Dan Baird et Mauro Magellan, n’aura évidemment pas le même cachet. Aucune reformatio­n des membres fondateurs n’a été jusqu’à aujourd’hui à l’ordre du jour et, pour l’heure, il faut se contenter de ce coffret rétrospect­if qui restitue l’aventure des Georgia Satellites à travers leur trilogie et l’atmosphère du rock US de la seconde moitié des années 1980. ★

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