Rock & Folk

Quoi de neuf là-dedans ? Des chansons, une âme

The Black Crowes

- NICOLAS UNGEMUTH

“SHAKE YOUR MONEY MAKER – 30TH ANNIVERSAR­Y EDITION”

Universal

Il fallait oser… En 1990, aux Etats-Unis, alors que d’un côté les Guns N’Roses régnaient comme des despotes metal, et que de l’autre, rayonnait le rock indé des college radios, un groupe sortait un premier album ressuscita­nt une musique vraisembla­blement passée de mode : celle des Stones d’ “Exile On Main Street”, des Faces et des deux premiers Humble Pie, voire de Free. En Angleterre, quelques groupes comme les Quireboys ou les Dogs D’Amour tentaient timidement la même chose alors que la scène de Manchester et le shoegaze ravageaien­t tout sur leur passage. Mais ils ne montraient guère de talent. Le contraire des Black Crowes, qui en avaient à revendre. Les frères Chris et Rich Robinson, en provenance de Georgie, avaient commencé à jouer dès 1984 sous l’intitulé Mr Crowe’s Garden, en pleine perfusion REM. et Paisley

Undergroun­d. Cinq ans plus tard, alors qu’ils signaient chez Def American et se faisaient produire par l’excellent George Drakoulias (aidé par Rick Rubin), le groupe avait changé de nom et assimilé bien d’autres disques. Le line up était fantastiqu­e, avec Steve Gorman à la batterie, Johnny Colt à la basse, Jeff Cease à la guitare solo et Rich Robinson à la rythmique, jouant exclusivem­ent en open de sol, comme qui vous savez. Il y avait donc des riffs à la Keith, de l’orgue, du piano (les deux joués par Chuck Leavell, alors employé des Rolling Stones), des choeurs noirs, des ballades acoustique­s. Tout cela aurait pu sonner comme une décalcoman­ie sans intérêt du rock estampillé début seventies, mais ce ne fut pas le cas. Tout cela aurait pu sonner comme du bon gros boogie comme en sont friands les Américains de certaines régions, ce ne fut pas le cas non plus : “Shake Your Money Maker” est un monstre de rock très soul ; c’est un miracle tant le genre était casse-gueule. Si la taxidermie musicale est à la portée de tout le monde, faire du neuf avec du vieux nécessite beaucoup de talent. Un groupe fabuleux débarquait avec un premier album parfait, les Black Crowes étaient en état de grâce. Il y a bien sûr la voix de Chris, évoquant Rod Stewart à son meilleur. Il y a les riffs et la slide de Rich, la section rythmique funky — ces gens viennent du Sud, il ne faut pas l’oublier —, mais surtout, il y a les chansons. Une avalanche de perfection. Il fallait un don surhumain pour obtenir un tube avec une version explosée d’un vieux tube d’Otis Redding, “Hard To Handle”. Et puis il y a le reste, impeccable : “She Talks To Angels”, ballade soul somptueuse,

“Jealous Again”, “Twice As Hard”, “Could I’ve Been So Blind”, “Thick N’ Thin”, “Sister Luck”… On pourrait citer tout l’album. Les Black Crowes parvenaien­t tout simplement à faire ce dont Rod Stewart, Keith Richards ou Steve Marriott étaient incapables depuis des lustres. Certains puristes ont ricané : quoi de neuf là-dedans ? Des chansons, une âme. C’était tout de même autre chose que “Welcome To The Jungle” et sa voix de castrat (d’ailleurs, même Izzy Stradlin, après avoir quitté son groupe, a sorti un premier album solo dans la veine des Crowes, pas désagréabl­e mais nettement moins convaincan­t). Ce chef-d’oeuvre qui a inauguré les années 1990 ressort dans plusieurs versions, et le groupe n’a pas fait les choses à moitié : une version deux CD, une autre en comptant trois, incluant raretés, faces B, démos de la période Mr. Crowe’s Garden, et naturellem­ent du live. Car en concert, le groupe était infernal, Chris arpentant la scène pieds nus sur ses tapis, Rich stoïque, incapable de sourire, envoyant ses riffs insensés… Le groupe a ensuite changé de guitariste pour sortir un deuxième album tout aussi extraordin­aire, “The Southern Harmony And Musical Companion”, avant d’évoluer vers d’autres territoire­s musicaux, naviguant entre le Grateful Dead et les Allman Brothers, puis revenant à leurs sources en 1999 avec “By Your Side”, qu’il ne faut pas négliger, sans oublier de tourner avec Jimmy Page en personne pour un mix de chansons maison et de reprises de Led Zeppelin. Ce n’est pas donné à tout le monde, d’autant que le résultat fut plus qu’honorable. Il est temps de remuer à nouveau son gagne-pain.

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