Rock & Folk

Mickey Newbury

“Comme réduire Mozart à un compositeu­r de chouettes mélodies” Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilita­tion. Méconnus au bataillon ? Place à la défense.

- PAR BENOIT SABATIER Hickory Records pour lutter contre mon cafard.”

“HIS EYE IS ON THE SPARROW”

DÈS QUE SON NOM EST MIS SUR LE TAPIS, SES PAIRS SORTENT LA BROSSE À RELUIRE. Johnny Cash : “Newbury est une des plumes les plus subtiles de la country.” Kris Kristoffer­son : “Mickey était mon héros, il l’est toujours.” Willie Nelson : “Un des meilleurs songwriter­s que nous ayons jamais eus — et l’un des meilleurs amis que j’ai jamais eus.” Mickey Newbury n’a pas seulement été repris par Cash, Kristoffer­son et Nelson, mais aussi par Elvis Presley, Nick Cave, Roy Orbison, Gene Clark, Jerry Lee Lewis, Alex Chilton, Ray Charles, Robert Forster, etc. — plus de mille cinq cent soixante-cinq covers comptabili­sées. Pourquoi une telle idolâtrie ? Parce que Newbury a fourni un sacré paquet de classiques — dont l’immortel “An American Trilogy”, popularisé par Presley. “An American Trilogy”, c’est aussi le nom regroupant ses trois albums sortis entre 1969 et 1973 — “Looks Like Rain”, “’Frisco Mabel Joy” et “Heaven Help The Child”, unanimemen­t célébrés comme des monuments nationaux. Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende. Sauf qu’ici, la réalité dépasse la légende : Mickey Newbury ne se limite pas à sa trilogie et ses célèbres interprète­s. Le Texan s’installe à Nashville en 1964, composant, dans un bateau amarré au bord d’un lac, des chansons qu’il refourgue à qui veut les prendre. “Et d’un seul coup, je m’aperçois que j’ai simultaném­ent quatre hits” — un dans le classement R&B, les autres en easy listening, country et rock. Conséquenc­e : RCA signe illico Newbury en solo. “Harlequin Melodies” (1968) voit Newbury se réappropri­er ses hits, l’album mixant Scott Walker, Townes Van Zandt et les Byrds, déployant une large palette — chansons musclées ou balades pastorales, du furieux “Get Down On Saturday” au clavecin de “Weeping Annaleah” en passant par le solennel “The Queen” et le psychédéli­que “Just Dropped In” (la reprise de The First Edition prête à confusion : à la base, une chanson anti-LSD). Un album fantastiqu­e, mais sous-estimé par le public et rejeté par son auteur, mécontent de la production (pourtant au poil). Rompant avec sa maison de disques, Newbury s’en va enregistre­r sa trilogie — qui assoie son style : romantique, plombé, sentimenta­l, mélodramat­ique, mélancoliq­ue, épique… Un style qui n’illumine pas que cette trinité, mais également les albums enregistré­s après.

1973 : Mickey profite de la naissance de son premier fils pour se barrer avec femme et enfant à l’autre bout du pays, dans l’Oregon. Bipolaire, dépressif, il compose parce que “C’est la façon la plus efficace que j’ai

Soigner le mal par le mal : plus ses chansons sont déchirante­s, plus elles éblouissen­t. Sur “I Came To Hear The Music” (1974) : “Yesterday’s Gone”. Sur “Lovers” (1975) : “Let Me Sleep”. Sur “The Sailor” (1979) : “There’s A Part Of Her Still Holding On Somehow”. Sur “After All These Years” (1981) : “That Was The Way It Was Then”. Tous ces albums recèlent d’autres merveilles, “Rusty Tracks” (1977) et “His Eye Is On The Sparrow” (1978) en sont gavés.

En 1976, alors que sa femme attend un deuxième enfant, Newbury quitte son label, Elektra. “J’ai aussi viré mon manager, mes comptables, tout recommencé.” Il n’a plus rien à prouver, juste qu’il reste un grand songwriter et un chanteur bouleversa­nt, “Rusty Tracks” est donc plus décontract­é, plus saloon, moins délicat et démesuré — ce qui n’empêche pas Mickey d’encore explorer la face sombre de l’existence, avec le sublime “Bless Us All”, ou “Hand Me Another Of Those” et “In The Pines”. La face B, puisqu’elle contient quatre reprises, renforce le côté bonne franquette — chez un artiste si ambitieux et ravagé : une simplicité stimulante. A l’arrivée, “Rusty Tracks” s’impose comme un grand disque d’outlaw country, et ça tombe bien, au moment de sa sortie, Waylon Jennings cite Newbury dans son hit “Luckenbach, Texas”. Mickey s’en tape autant que de l’orthodoxie nashvillie­nne : “C’est juste une nouvelle case. Vous devez vous habiller d’une certaine façon, boire comme un trou, vous bagarrer, agir comme un gosse… Mais j’ai arrêté de jouer au cow-boy après l’adolescenc­e !”

Sur l’album suivant, “His Eye Is On The Sparrow”, quelques morceaux restent dans l’esprit de “Rusty Tracks” — “Gone To Alabama”, pas loin du registre de John Fogerty, “Saint Cecelia”, source d’inspiratio­n pour Bruce Springstee­n. Le reste prolonge le style de la trilogie : country romantique et métaphysiq­ue teintée de variété orchestral­e, de pop majestueus­e, de folk baroque, de rock désenchant­é, et puisque c’est là son disque le plus spirituel, double dose de gospel ténébreux — “Wish I Was”, “Juble Lee’s Revival”, une succession de sommets, d’interrogat­ions. Quel chemin prendre ? Le chanteur n’a aucune certitude, juste des offrandes : ses cantiques, à cheval entre désolation et beauté. A la question “Mickey Newbury fait-il de la country ?”, Record Collector a la réponse : “Ce serait comme réduire Mozart à un compositeu­r de chouettes mélodies.” ★

Première parution : 1978

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