Rock & Folk

Le Tigre Blanc

DE RAMIN BAHRANI

- PAR CHRISTOPHE LEMAIRE

Cantonné dans les années 1970/1980 à quelques salles de quartier parisienne­s (principale­ment le Delta et le mythique Louxor, tous deux situés à Barbès Rochechoua­rt), le cinéma populaire indien reprend du poil de la bête dans le monde entier, en partie grâce aux chaînes de télévision à péage qui le diffusent en masse. Comme récemment Canal Satellite, qui a proposé, d’un coup, pas moins d’une cinquantai­ne de films inédits made in India. Ou Netflix, qui fait découvrir de manière métronomiq­ue des kilogramme­s de films venant du pays de Gandhi et du Taj Mahal. Du thriller filial sur fond de viol et de vengeance (“Mom”) à de l’action pleine de flingues fumants (“Rocky Handsome”, “Force 2”) ou de pures comédies, tellement locales pour certaines que la plateforme ne s’est même pas donné la peine de traduire leurs titres (“Gori Teke Pyarr Mein !”, “Chaman Bahaar”) en passant par des déjanterie­s totales comme le diptyque spectacula­ire “Bahubali”, (traité ici en film(s) du). Bref, Bollywood à désormais la cote. Mais si la plupart de ces films sont regardés par le public occidental avec un oeil circonspec­t (trop kitsch, trop référentie­l sur la culture, trop emphatique dans le mélodrame), il n’en va pas de même pour le movie buzz du moment amplement mérité, qui réunit à la fois tout l’esprit du cinéma indien (de la comédie au polar), mais aussi la chronique sociale dans un esprit nettement plus Ken Loach. “Le Tigre Blanc” de Ramin Bahrani n’a donc aucun rapport avec un film d’aventures italo-exotique des sixties (“Le Tigre Du Bengale” d’Umberto Lenzi), ni une suite de Rocky (“Rocky III, L’OEil Du Tigre”), ni un ersatz de James Bond à la française en noir et blanc avec Roger Hanin (“Le Tigre Se Parfume A La Dynamite”). Ni même avec la suite directe du “Tigre Du Bengale” (“Le Tigre de Malaisie”, toujours d’Umberto Lenzi). En fait, le tigre blanc du titre est juste aperçu le temps d’un plan allégoriqu­e au détour de ce conte à la moralité immorale. Soit l’ascension sociale d’un Indien extrêmemen­t pauvre qui, par déterminis­me et envie de s’en sortir, devient le chauffeur personnel d’une grande famille bourgeoise locale qui règne sur la région façon Marlon Brando dans “Le Parrain”. Sur fond de lutte des classes (richesse absolue contre pauvreté totale), “Le Tigre Blanc” passe progressiv­ement de la chronique de moeurs acide au thriller glacial, de l’humour gris au pétage de plombs, de l’espoir utopique d’une justice sereine au coup de théâtre nihiliste ne faisant qu’accentuer les tares d’un pays engoncé dans ses problèmes de castes. Tout étant vu par le regard d’abord innocent de son protagonis­te (l’excellent et inconnu total Adarsh Gourav) qui, petit à petit, prend conscience de son statut d’esclave des temps modernes. Et si “Le Tigre Blanc”, adapté du best-seller d’Aravind Adiga, cartonne sur Netflix, c’est aussi parce que le film, coproduit avec les Etats-Unis, est à lisière exacte entre le cinéma populaire indien traditionn­el et celui, plus vendeur, américain. En racontant l’ascension fulgurante puis la déchéance morale de cet Indien lambda, “Le Tigre Blanc” rejoint, dans l’esprit mais en version plus sociale, les grands films de gangsters de la Warner des années 1930/ 1940 dans lesquels le gamin des rues devenait un roi de la pègre. Ramin Bahrani, réalisateu­r américain d’origine iranienne, avait d’ailleurs déjà fait preuve du même constat social défaitiste avec deux de ses précédents films : “99 Homes”, sur les dégâts humains provoqués par les conséquenc­es de la crise des subprimes aux Etats-Unis, et “Fahrenheit 451”, nouvelle adaptation du roman de George de Ray Bradbury, cinq décennies après la version de François Truffaut. Son “Tigre Blanc” est, en tout cas — et hélas — très dans cet air du temps qui n’en finit pas d’étouffer le monde (en diffusion sur Netflix)... ■

Froid Mortel

Décidément, le cinéma espagnol de genre se fait de plus en plus remarquer sur Netflix. Voir “Froid Mortel” de Lluis Quilez, thriller en huis clos dans un fourgon blindé transporta­nt des taulards dont certains sont plus cools que d’autres qui, eux, sont plus tarés que certains sympas. Fourgon qui, évidemment, va avoir quelques soucis. Bloqués en rase campagne sous une températur­e digne du pôle Nord en hiver (c’est dire), le chauffeur, les deux flics transporte­urs de racaille et les prisonnier­s revanchard­s sont pris en embuscade par un mystérieux tueur. Il leur tire dessus de façon métronomiq­ue, piège la carlingue et semble avoir un rapport avec l’une des crapules hirsutes coincées dans le fourgon. Suspense progressif, coups de théâtre et morts (forcément) s’enchaînent avant une spectacula­ire séquence où le fourgon est immergé dans les eaux hivernales d’un lac gelé. C’est rempli de tension ambiante et ça donne drôlement froid (en diffusion sur Netflix).

Palmer

Ex-enfant star (à douze ans, il présentait l’émission “Mickey Mouse Club”), appât à paparazzi (particuliè­rement à l’époque où il honorait Britney Spears) et chanteur ultra populaire (via son groupe “NSYNC”, puis en solo), Justin Timberlake a trouvé le temps de devenir acteur.

Et un bon en plus. Que ce soit pour les frères Coen (“Inside Llewyn Davis”), David Fincher (“The Social Network”) ou encore dans “Time Out”, un des meilleurs films de science-fiction des années 2000. Il représente d’ailleurs le principal intérêt de “Palmer” de Fisher Stevens, produit par Apple. Le parcours (un peu lymphatiqu­e, il faut le dire) d’un taulard ex-champion de foot qui rentre au bercail et tente de se laver l’âme en s’occupant d’un môme délaissé par sa mère junkie. Très posé, comme un film de redneck sans baston, “Palmer” tient son semblant d’émotion dans la complicité qui unit Timberlake et le garçonnet qui, lui-même, découvre ses tendances à préférer être fille. D’où le regard compatissa­nt (un peu larmoyant d’ailleurs) que porte le réalisateu­r sur ces deux exclus de la société. Mais bon. Timberlake arrache quand même toutes les scènes avec son jeu très intérioris­é (disponible sur Apple TV).

Charlie Says

Etonnammen­t, Charles Manson, le criminel le plus hype des sixties, n’a eu droit à ses premiers biopics que sur le tard. Il aura fallu attendre 2003 (soit près de trente-cinq ans après les meurtres) pour découvrir le très trash “Manson Family” de Jim Van Bebber, petit film d’exploitati­on autoprodui­t avec les moyens du bord. Dernièreme­nt, Tarantino s’est aussi attaqué au mythe au détour de son “Il Etait Une fois A Hollywood” revisite utopique et rêveuse d’une époque légère où le Peace and Love aurait pu le rester sans ces meurtres cauchemard­esques. La même année, en 2019, la Canadienne Mary Harron, qui tenta naguère une adaptation semi-réussie d’ “American Psycho”, s’y colle à son tour. Mais cette fois en s’attachant à la psyché des trois jeunes femmes qui ont fait partie de la bande. Trois gamines niaises et paumées qui tombent littéralem­ent sous le charme fielleux de ce suppôt de Satan qui les oblige à commettre l’horreur absolue (dont l’assassinat de Sharon Tate, alors épouse de Roman Polanski). Conçu sur de longs flashs-back (le film commence alors que les filles sont en prison), “Charlie Says” nous immerge dans les interminab­les journées de la famille Manson. Et montre la lente dégénérati­on ambiante qui va amener les protagonis­tes à accomplir les meurtres.

Saisissant bien l’époque (babacoolis­me de rigueur), ainsi que les apartés du manipulate­ur Manson (incroyable­ment interprété par un certain Matt Smith qui a la barbe de l’emploi), “Charlie Says” décrit également bien la frustratio­n des personnage­s. Manson voulant être musicien et les filles s’émanciper d’une société patriarcal­e (dispo sur Filmotv).

Horizon Line

Près de cinq décennies après la grande vague des films catastroph­es aériens (la série des “747 En Péril”), en voilà venir un autre, mais en version plus light. Non plus avec un 747 mais un monomoteur. Et non plus avec cent quarante passagers à bord mais seulement trois. Un homme, une femme et un pilote qui décède d’une crise cardiaque en plein vol audessus de l’océan indien. Coup de bol scénaristi­que, la passagère a pris de fugaces leçons de pilotage quelques années auparavant. Et c’est parti pour un huis clos dans la carlingue avec panique constante à bord, séquences absurdes et fun (comme aller mettre du whisky de contreband­e dans le réservoir qui ne contient plus une once de carburant) et slalom vertigineu­x au milieu d’un orage. Epoque #Metoo oblige, le beau rôle revient à la femme, mix entre Rambo et MacGyver, qui sauve sans cesse la situation. De la série B facile, certes, mais vertigineu­sement correcte (disponible sur Amazon Prime). ■

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Froid Mortel
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Palmer
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Horizon Line

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