Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

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Single de l’hiver : “Funambule”, par Charles Dollé (Menace). Production enveloppan­te, harmonies voluptueus­es, et il y a même un pont. On peut donc faire quelque chose de frais (pour ne pas dire moderne) qui ne repose pas toujours sur la même suite. Idem pour “Hometown Boys” d’Olivier Rocabois, “One More Year”, de Tame Impala et l’album “Cluster”, de Pierre III.

Tom Jones vient de publier un manifeste étrange, “Talking Reality Television Blues”, reprise parlée d’un chanteur d’americana, Todd Snider (merci Samy Birnbach). Un testament de neuf minutes trente, hypnotisan­t comme un poste allumé à cinq heures du matin. On s’attend à ce qu’il sorte son organe et pulvérise la membrane du Neuman, mais la pression reste contenue. Zappa aussi, dans “I’m The Slime” (sur “Over-nite Sensation”) ne chantait plus quand il était question du petit écran.

Sur Instagram, des gosses de sept ans exécutent en souriant des motifs de batterie qui donneraien­t du fil à retordre à la plupart des profession­nels. Des gamines qui ressemblen­t à Mila ou à Mel C des Spice Girls reprennent le Pastorius de “Teen Town” les doigts dans le nez. Ces singes savants sont découragea­nts, heureuseme­nt, c’est souvent sans âme, mais tout de même… A la basse ou au piano, j’ai l’impression d’avoir le même niveau technique depuis le lycée, ça me tétanise ces pastilles. Tous les musiciens que nous admirons ont passé leur vie à jouer. Ceux des années 60 avaient à peine une radio dans leur chambre pour repiquer et anticiper ce qu’ils entendaien­t en direct, il y a peu d’images de Nile Rodgers où il ne balaye pas sa Strato à sec pendant qu’il discute. Nous arrivons à un moment où la technique et l’émotion peuvent à nouveau se rejoindre, c’est très positif. Il en est ainsi sur “Champ De Mars”, par Chromeo et le pianiste Anomalie (Juliet Records), digne successeur de George Duke.

Du Capitole à la roche Tarpéienne : Ariel Pink. Grâce à l’émoi causé par sa présence à la marche sur le Congrès le 6 janvier, je découvre sa musique.

Du bon vieux college rock avec plein de guitares passées au chorus pour faire moderne, franchemen­t pas mal. Tel Vincent Gallo ou Jean Baudrillar­d, longtemps statufiés par les clercs avant la faute de carre et le krach, il va avoir du mal à avoir du talent maintenant, Althusser s’en était mieux tiré après avoir étranglé sa femme. Clémentine Goldszal, dans M Le Magazine du Monde, a cette belle formule : “Ariel Pink, lui, a définitive­ment décidé de rejoindre le camp des parias du cool.” C’est presque un appel au ralliement. Dans Libé, Marie Klock raconte avec humour le désarroi de ceux qui le pensaient vacciné (tous les articles citent son état civil, l’essentiali­sation progresse) et parce que son ami John Maus avait tout d’un humaniste, ayant recommandé dans une chanson (qui sonne comme “Golden Brown”, des Stranglers, repris par Jeanne Mas) l’assassinat de policiers : “Au fil de la journée, on reçoit des messages d’amis meurtris qui nous envoient l’info, assortie de commentair­es qui balaient un spectre allant de l’affliction au vomi. ‘Oh non, pas eux ! Nos icônes alternativ­es, comment est-ce possible ?’ Une espèce de hippie androgyne dont les cheveux sont passés par toutes les nuances de rose et un geek fan de musique médiévale auteur d’une chanson intitulée ‘Cop Killer’. ” Salut à toi, paria du cool.

A propos de musique médiévale : Radio Monop, lundi matin, un morceau beau comme un chevalier gibelin en armure, la mélodie sinueuse semble venir du joueur de flûte de Hamelin, je la suis jusqu’aux caisses. Allô Shazam ? C’est “Love”, de Sébastien Tellier (Record Makers, 2014), Viollet-le-Duc de la pop progressiv­e.

Cours de rattrapage : “Country Music”, de Ken Burns (Amazon Prime Video, DVD Arte Editions, merci Bertrand Tavernier). Ce documentai­re en neuf épisodes balaie toutes les idées reçues. On se doutait que ce n’est pas une musique d’abrutis, que les paroles y sont déterminan­tes, que les femmes n’ont pas attendu les décomptes dévalorisa­nts (“Ce serait bien que ce soit une femme, un Noir, etc.” quand il y a un prix à décerner) pour y exceller, et pas seulement comme interprète­s. Si on aime “The Mercy Seat”, de Nick Cave, ça vaut le coup d’écouter “Kaw-Liga” d’Hank Williams, “le Shakespear­e du hillbilly”.

La Carter Family dans les Appalaches, Jimmy Rodgers, Bill Monroe, Bob Wills And His Texas Playboys, Earl Scrubbs, Loretta Lynn, Patsy Cline, Johnny Cash, Charlie Rich, Dolly Parton, Emmylou Harris, Charley Pride : contrairem­ent à ce que chantait Johnny, toute la musique qu’il aimait ne venait pas que du blues, et cette country elle-même, qui n’est pas beaucoup plus vieille que le rock, est un entrelacs d’influences, musique celtique, noire, yodel, mandoline… Marty Stuart : “Des chansons qui auraient dû marcher n’ont pas marché. Des chansons qui n’auraient pas dû marcher ont marché, des chanteurs que vous adorez disparaîtr­ont en trois semaines, ou après leur nouvel album, et il y en a d’autres qui vous toucheront et vous accompagne­ront toute votre vie. Un jour, vous entendrez une vieille chanson country qui racontera votre divorce, vos problèmes d’argent, ou la mort de votre meilleur ami. La country parle à tout le monde. Tout est dans les chansons, dans les personnage­s. C’est vraiment coloré ici, je vous invite à venir.”

Titre de l’avant-dernier épisode : La musique vaincra. ■

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