Hérouville, Le Château Hanté Du Rock
On va pas se raconter d’histoires, la France n’a jamais été un grand pays du rock, question de langue et d’éducation sans doute, mais c’est pourtant dans un château paumé dans la cambrousse française que d’impérissables titres rock anglo-saxons ont été enregistrés. Le château d’Hérouville, studio-résidence imaginée au début des années 1960 par Michel Magne, musicien visionnaire et très barré, a en effet hébergé des studios devenus mythiques par la grâce des plus grands noms du rock qui y ont enregistré titres et albums de légende tout en profitant de la bâtisse dix-huitième siècle où la magie des vieilles pierres, l’éloignement des tentations citadines, la gastronomie française et sa petite soeur l’oenologie, assuraient confort et concentration aux hédonistes comme aux plus rares bourreaux de travail. Le récit de cette entreprise créative et folle a déjà été fait, sous différentes plumes, à la radio, en BD et en roman, les passages successifs de David Bowie, Iggy Pop, Pink Floyd, Jerry Garcia ou des Bee Gees, entre autres, ont bien sûr frappé les imaginations et marqué les mémoires mais, sous la plume de Laurent Jaoui, c’est son principal interlocuteur, l’un des anciens tenanciers du lieu, le musicieningé-son Laurent Thibault, qu’on a la surprise de retrouver à chaque page, quasi-vedette de ce récit, manifestement écrit par un fan bizarrement subjugué. L’expertise de Thibault est réelle, il était indéniablement à Hérouville, mais sa propension à se mettre en avant, à distribuer des bons et des mauvais points — euh, Marc Bolan mérite mieux qu’être réduit à un “petit gros” ivrogne —, à souligner sa proximité avec des stars — “David pensait que”
— ou à enfoncer des portes ouvertes : “Il est évident qu’il joue très bien du piano” à propos d’Elton John (sic) ou “C’est là que j’ai compris à quel point c’est le musicien qui fait son propre son, très personnel” (sic) font toutefois douter quelque peu de la profondeur de son analyse. Néanmoins, l’aventure culturelle et presque sociologique que fut ce concept révolutionnaire de studios reste extraordinaire, et évidemment intéressante pour tout fan de rock normalement constitué. Nos groupes préférés y ont tous enregistré et ont ainsi, par la magie de quelques riffs, ouvert à Hérouville, dans la France des DS, vieillotte et frileuse, une parenthèse rock enchantée dont l’enivrant sillage de fugace liberté est toujours aussi grisant.