Rock & Folk

NIKI DEMILLER

Avec l’élégance pop qui lui sied, l’ancien chanteur des Brats revient en musique sur ses dix années absurdes passées dans le monde du tertiaire.

- Samuel Ramon

“Avant de devenir fou”

“OÙ SONT DONC PASSÉS LES BEAUX JOURS ?” La question que posait hier Ray Davies reste, hélas, très pertinente. Où sont nos amis ? Nos sorties nocturnes ? Quand ce cirque va-t-il enfin cesser ? Fautil vraiment avoir recours aux privations afin d’apprécier les libertés ? Il paraît que le travail épanouit, que la musique sert d’adoucisseu­r à une vie de salle d’attente tout en espérant accéder à une hypothétiq­ue plénitude via l’échelle en balsa que ces nouveaux métiers du tertiaire cool glissent en peau de banane sous les pieds des jeunes loups. “L’important, c’est de participer”… Niki Demiller en a fait les frais. De la data aux partitions, d’un contrat de vente à l’autre : portrait d’une convention de conversion.

Mesquineri­es

Rock&Folk : Que s’est-il donc passé d’aussi grave dans votre vie active pour que vous en parliez ainsi ?

Niki Demiller : J’en ai bavé dans ces bureaux, dans ce cadre de vie. De prime abord, ça ne me semblait pas intéressan­t d’en parler mais, pour ma part, j’ai trouvé l’expérience en milieu tertiaire assez violente.

R&F : Et pourtant, être sur scène peut également être violent Comme lors de ce concert au Zénith...

Niki Demiller : J’avais dix-sept ans : les six mille personnes qu’abritait le Zénith lors du concert des Brats en première partie des Stooges nous avaient tellement hués que je me suis immédiatem­ent rasé le crâne de peur qu’avec toutes les apparition­s que nous avions faites auparavant à la télé, on me reconnaiss­e dans la rue. Difficile à cet âge de faire la différence entre le personnage public et les commentair­es ultra-violents d’Internet mais, avec le recul, même si on en a bavé, ce concert reste un de mes plus beaux souvenirs de jeunesse. Jouer avec les Stooges ! Il faut se rendre compte de la dinguerie du truc…

R&F : Vous étiez à bout, mais pas sans ressources…

Niki Demiller : Psychologi­quement, j’étais trop mort pour reprendre des études et je ne savais franchemen­t pas comment gagner ma vie dans la musique. Alors, j’ai pris ce boulot-là, soit cinq années à mettre au propre et à jour les bases de données clients dans une boîte de publicité versée dans le B to B (Business to Business), boîte qui recensait tous les lieux de séminaires français que proposaien­t les hôtels de luxe, avec comme unique but : vendre le guide parfait à des ténors de l’événementi­el. Cinq ans plus tard, je me lançais comme commercial, avec de bons résultats, mais là, je rentrais de plainpied dans un système abominable, déshumanis­é au possible où le jeune inexpérime­nté se doit d’écraser ses propres maîtres dans une course à l’échalote sans fin et totalement vaine. Ces coups bas, ces trahisons, mesquineri­es et vanités… Ce n’était plus possible. Dix ans ! Il fallait que j’en sorte avant de devenir dépressif ou complèteme­nt fou. C’est là que je suis retourné à la musique via une formation d’orchestrat­eur, d’arrangeur, laquelle m’a véritablem­ent décomplexé.

Des Ramones à François de Roubaix

R&F : Il faut toujours savoir bien s’entourer dans ce cas, non ?

Niki Demiller : Mon mentor, c’était Thibault Renard, grand musicien qui avait monté son premier groupe avec Christophe Chassol. C’est grâce à Thibault que j’ai pu accéder à cette formation, à ses cours qui valent de l’or. C’était dur, je n’avais pas le niveau, mais j’ai fait le forcing et il m’a dit : “Ok, je veux bien t’accepter, mais tu devras te farcir tout le rattrapage de solfège en un mois”, et à la fin, je lui ai ramené seize pages de gammes écrites, montantes, descendant­es… En un seul mois, j’ai abattu l’équivalent de deux ans de boulot ! Je venais du rock et je devais passer des Ramones/ MC5 à François de Roubaix. Pas simple pour moi qui avais toujours été fasciné par la musique de film, les arrangeurs comme Jean-Claude Vannier, Michel Colombier, Jean Bouchéty… Ainsi, en fin de cursus, le diplôme approchant, j’ai pu réorchestr­er “Station To Station” de David Bowie pour soixante musiciens, avec cordes, bois, cuivres, etc. Et malgré une interpréta­tion un peu bancale, je me suis aperçu en fin de compte que ma vie était ici, qu’elle serait désormais vouée à la musique pour orchestre, aux films futurs dont j’écris actuelleme­nt les scores. Il me fallait cependant évacuer l’accumulati­on d’angoisses vécues ces dernières années, le pourquoi de ce besoin d’enregistre­r un album quasi thérapeuti­que avec Baptiste Dosdat, Vincent Pedretti, Gaël Etienne qui tient la basse sur le disque uniquement, puisque c’est Laurent Saligault qui tourne avec nous. C’est un peu notre père à tous : ce gars a joué avec Miossec et la grande Barbara Carlotti. C’est compliqué de sortir un disque, de se satisfaire du résultat. Toujours ce besoin d’un processus extrêmemen­t long, de moyens détournés pour assumer au mieux ce que je veux dire. Pendant des années, j’ai cherché le tube, ce côté justement immédiat, et ça a été une de mes plus grandes erreurs. Quand il faut écrire, on pense souvent aux réactions de l’auditeur, du public ; ce truc impersonne­l en contradict­ion avec l’idée de départ qui est celle, justement, de composer la musique la plus personnell­e qui soit. Sans fioriture ni tromperie.

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