NIKI DEMILLER
Avec l’élégance pop qui lui sied, l’ancien chanteur des Brats revient en musique sur ses dix années absurdes passées dans le monde du tertiaire.
“Avant de devenir fou”
“OÙ SONT DONC PASSÉS LES BEAUX JOURS ?” La question que posait hier Ray Davies reste, hélas, très pertinente. Où sont nos amis ? Nos sorties nocturnes ? Quand ce cirque va-t-il enfin cesser ? Fautil vraiment avoir recours aux privations afin d’apprécier les libertés ? Il paraît que le travail épanouit, que la musique sert d’adoucisseur à une vie de salle d’attente tout en espérant accéder à une hypothétique plénitude via l’échelle en balsa que ces nouveaux métiers du tertiaire cool glissent en peau de banane sous les pieds des jeunes loups. “L’important, c’est de participer”… Niki Demiller en a fait les frais. De la data aux partitions, d’un contrat de vente à l’autre : portrait d’une convention de conversion.
Mesquineries
Rock&Folk : Que s’est-il donc passé d’aussi grave dans votre vie active pour que vous en parliez ainsi ?
Niki Demiller : J’en ai bavé dans ces bureaux, dans ce cadre de vie. De prime abord, ça ne me semblait pas intéressant d’en parler mais, pour ma part, j’ai trouvé l’expérience en milieu tertiaire assez violente.
R&F : Et pourtant, être sur scène peut également être violent Comme lors de ce concert au Zénith...
Niki Demiller : J’avais dix-sept ans : les six mille personnes qu’abritait le Zénith lors du concert des Brats en première partie des Stooges nous avaient tellement hués que je me suis immédiatement rasé le crâne de peur qu’avec toutes les apparitions que nous avions faites auparavant à la télé, on me reconnaisse dans la rue. Difficile à cet âge de faire la différence entre le personnage public et les commentaires ultra-violents d’Internet mais, avec le recul, même si on en a bavé, ce concert reste un de mes plus beaux souvenirs de jeunesse. Jouer avec les Stooges ! Il faut se rendre compte de la dinguerie du truc…
R&F : Vous étiez à bout, mais pas sans ressources…
Niki Demiller : Psychologiquement, j’étais trop mort pour reprendre des études et je ne savais franchement pas comment gagner ma vie dans la musique. Alors, j’ai pris ce boulot-là, soit cinq années à mettre au propre et à jour les bases de données clients dans une boîte de publicité versée dans le B to B (Business to Business), boîte qui recensait tous les lieux de séminaires français que proposaient les hôtels de luxe, avec comme unique but : vendre le guide parfait à des ténors de l’événementiel. Cinq ans plus tard, je me lançais comme commercial, avec de bons résultats, mais là, je rentrais de plainpied dans un système abominable, déshumanisé au possible où le jeune inexpérimenté se doit d’écraser ses propres maîtres dans une course à l’échalote sans fin et totalement vaine. Ces coups bas, ces trahisons, mesquineries et vanités… Ce n’était plus possible. Dix ans ! Il fallait que j’en sorte avant de devenir dépressif ou complètement fou. C’est là que je suis retourné à la musique via une formation d’orchestrateur, d’arrangeur, laquelle m’a véritablement décomplexé.
Des Ramones à François de Roubaix
R&F : Il faut toujours savoir bien s’entourer dans ce cas, non ?
Niki Demiller : Mon mentor, c’était Thibault Renard, grand musicien qui avait monté son premier groupe avec Christophe Chassol. C’est grâce à Thibault que j’ai pu accéder à cette formation, à ses cours qui valent de l’or. C’était dur, je n’avais pas le niveau, mais j’ai fait le forcing et il m’a dit : “Ok, je veux bien t’accepter, mais tu devras te farcir tout le rattrapage de solfège en un mois”, et à la fin, je lui ai ramené seize pages de gammes écrites, montantes, descendantes… En un seul mois, j’ai abattu l’équivalent de deux ans de boulot ! Je venais du rock et je devais passer des Ramones/ MC5 à François de Roubaix. Pas simple pour moi qui avais toujours été fasciné par la musique de film, les arrangeurs comme Jean-Claude Vannier, Michel Colombier, Jean Bouchéty… Ainsi, en fin de cursus, le diplôme approchant, j’ai pu réorchestrer “Station To Station” de David Bowie pour soixante musiciens, avec cordes, bois, cuivres, etc. Et malgré une interprétation un peu bancale, je me suis aperçu en fin de compte que ma vie était ici, qu’elle serait désormais vouée à la musique pour orchestre, aux films futurs dont j’écris actuellement les scores. Il me fallait cependant évacuer l’accumulation d’angoisses vécues ces dernières années, le pourquoi de ce besoin d’enregistrer un album quasi thérapeutique avec Baptiste Dosdat, Vincent Pedretti, Gaël Etienne qui tient la basse sur le disque uniquement, puisque c’est Laurent Saligault qui tourne avec nous. C’est un peu notre père à tous : ce gars a joué avec Miossec et la grande Barbara Carlotti. C’est compliqué de sortir un disque, de se satisfaire du résultat. Toujours ce besoin d’un processus extrêmement long, de moyens détournés pour assumer au mieux ce que je veux dire. Pendant des années, j’ai cherché le tube, ce côté justement immédiat, et ça a été une de mes plus grandes erreurs. Quand il faut écrire, on pense souvent aux réactions de l’auditeur, du public ; ce truc impersonnel en contradiction avec l’idée de départ qui est celle, justement, de composer la musique la plus personnelle qui soit. Sans fioriture ni tromperie.