Rock & Folk

CHEAP TRICK

Le groupe de Rockford, une institutio­n américaine mais davantage un secret bien gardé de notre côté de l’Atlantique, publie “In Another World”, un vingtième album qui, dans le monde d’après, devrait bien rendre en public. Conversati­on avec Robin Zander.

- Jérôme Soligny

“Nous sommes restés les mêmes”

S’IL Y A UN GROUPE QUI SE MOQUE DES ÉTIQUETTES QU’ON LUI COLLE, C’EST BIEN CHEAP TRICK. Originaire de Rockford dans l’Illinois, la formation a louvoyé avant de se stabiliser, en 1975, avec Robin Zander au micro, Rick Nielsen à la guitare et au songwritin­g majoritair­e, Tom Petersson à la basse et Ben E Carlos à la batterie. On a dit et écrit de leur rock qu’il était hard, garage, glam, punk, heavy et/ ou mélodique, ce qui n’est pas faux. Cheap Trick, pas intello pour un rond, mais loin d’être bête, fait dans le bouillon de culture populaire (près de vingt-cinq millions d’albums vendus…), et lorsqu’au Rock And Roll Hall Of Fame, en 2016, ses membres ont remercié le producteur Jack Douglas de les avoir repérés (et fait signer avec Epic), et Kiss de les avoir pris, très tôt, en première partie — leur ouvrant ainsi une carrière royale —, on a pu mesurer la largeur du ratissage. Et puis, ça n’est pas donné à tous les rockers, Cheap Trick, comme l’indiquent les titres de ses albums et de ses tubes les plus représenta­tifs (“I Want You To Want Me”, “Surrender”, “Dream Police”, “He’s A Whore”) a toujours donné l’impression de ne pas se prendre véritablem­ent au sérieux. Au téléphone (faute de mieux) en guise de porte-voix, à coups de grands mots injectés dans la conversati­on comme autant de remèdes (avec interdicti­on d’aborder le sujet Ben E Carlos, évincé du groupe dans la forme, mais pas sur le plan financier, et remplacé par Daxx Nielsen, fils de son père), l’affable et blond hurleur de la formation s’est longuement exprimé. Passages choisis.

ROCK&FOLK : Ça fait un bail que vous n’avez pas mis les pieds en France.

Robin Zander : Absolument... Cheap Trick existera bientôt depuis près d’un demi-siècle, mais on n’est pas venu chez vous depuis les années 1970. Je me souviens qu’on a tourné en Europe avec AC/DC, avec Chrissie Hynde et les Pretenders… On est aussi passé à Montreux, mais c’est la Suisse (rires) ! C’est vrai que, curieuseme­nt, lorsque notre bassiste Tom Petersson a momentaném­ent quitté le groupe dans les années 1980, le Vieux Continent nous a moins sollicités. J’en étais même arrivé à me demander si nous y avions encore des fans. Et puis, au début de l’année dernière, nous avons joué avec Alice Cooper, notamment en Angleterre où il marche très fort, et nous avons pu constater que nous avions encore la cote !

R&F : Ne pas revenir jouer chez nous dès que vous en aurez l’occasion serait donc une hérésie, d’autant qu’une de vos chansons se nomme “A Place In France”.

Robin Zander : Exact, elle remonte aux années 1970 (il chante le refrain et éclate de rire ! – ndA). Dès qu’on se pointe, je vous promets qu’on la fait !

R&F : Ce nouveau disque envoie du lourd, du très lourd même…

Robin Zander : Tant mieux ! On a la chance d’avoir un label qui continue de nous donner la possibilit­é d’enregistre­r. Qui croit en nous sur le plan musical alors que, soyons honnêtes, nous n’avons pas changé tant que ça. Nous sommes restés les mêmes.

R&F : C’est juste le monde autour de vous qui a évolué… Robin Zander : Ça, c’est certain. Surtout aux USA, si j’ai bien compris… En fait, “In Another World”, c’est un peu le monde selon Trump, puisqu’il a été écrit durant sa présidence, avant la Covid. Mais en vérité, on peut tout aussi bien croire qu’il y est question de la pandémie car il n’y a pas tant que ça de différence entre les deux…

R&F : Cheap Trick est devenu un classic group presque malgré lui : comment vivez-vous ce statut ?

Robin Zander : C’est le temps qui nous a fait évoluer vers ça car, en vérité, nous n’avons jamais vraiment arrêté, ni de jouer ni d’enregistre­r. Paradoxale­ment, en concert, nous ne sommes pas très portés sur le côté best of. On fait quelques tubes, mais on prend surtout du plaisir avec les nouveaux titres. C’est notre modus operandi… En fait, on a essayé de mettre dans ce nouvel album tout ce qu’on trouve excitant dans Cheap Trick, tous ces éléments qui font que le groupe est ce qu’il est. Ainsi, les fans qui nous verront jouer les nouveaux titres en live ne risquent pas d’être déçus.

R&F : Regrettez-vous l’époque où les groupes, petits ou grands, publiaient deux albums par an ?

Robin Zander : Disons que c’était différent… Même si le rythme des parutions a changé, nous sommes reconnaiss­ants de continuer à sortir de la nouvelle musique. Et puis le public se renouvelle. Il y a deux ans, nous avons tourné avec Deep Purple en Amérique du Sud, et les spectateur­s étaient très jeunes. Notre âge leur importe peu, ce qui compte, c’est la musique. Et Deep Purple travaille avec Bob Ezrin…

R&F : A ce propos, Cheap Trick est fidèle à Julian Raymond, cet homme à tout faire du rock US qui a produit vos derniers albums.

Robin Zander : Oui, on le fréquente depuis plusieurs décennies, il connaît le groupe par coeur et ne va jamais chercher midi à quatorze heures. Avec nous, la devise c’est : “Si ce n’est pas cassé, inutile de réparer.” Nous tenons à ce que le son de Cheap Trick en live soit le moins différent possible de ce qu’il est sur disque.

R&F : Qu’en est-il de cette rumeur qui prétend que John Lennon aurait pu produire le premier Cheap Trick ? Robin Zander : C’est faux ! En revanche, Jack Douglas qui a travaillé sur “Double Fantasy”, le dernier 33-tours de John, a produit notre

premier disque. Rick Nielsen et Bun E Carlos ont participé à des séances de “Double Fantasy”… Mais nous sommes effectivem­ent très fans des Beatles et George Martin a produit “All Shook Up”, notre album de 1980. Puisqu’on parle de ça, je me souviens que l’année d’avant, nous avions songé à prendre George Harrison aux manettes ; ça l’intéressai­t, mais il était malheureus­ement trop occupé.

Les sauvages !

R&F : D’ailleurs, il y a sur votre nouvel album une reprise de “Gimme Some Truth.”, de John Lennon.

Robin Zander : C’est le premier titre que nous avons enregistré pour le disque, notamment parce que nous trouvions que le texte était terribleme­nt pertinent et pouvait correspond­re à l’Amérique de Trump…

R&F : Lennon, un visionnair­e ?

Robin Zander : Absolument ! Vous savez, j’avais onze ans lorsque les Beatles sont passés au “Ed Sullivan Show”. J’étais chez ma petite amie, ce qui peut sembler bizarre (rires)… Mais, en vérité, j’étais tombé sous leur charme l’année d’avant, en voiture, alors que nous rentrions de vacances avec mes parents. J’ai entendu “I Want To Hold Your Hand” à la radio. Mon père a éteint le poste, je lui ai demandé de le rallumer et ça a été foutu pour moi ! Quand j’étais môme, la FM couvrait un vaste panorama musical en Arkansas, et c’est ainsi que j’ai découvert tous les groupes anglais. D’ailleurs, on a vécu cette British Invasion, mais on oublie parfois de dire qu’elle a été précédée de deux autres, dans le sens inverse : la première au début des années 1950, quand le blues est arrivé en Europe, et la seconde un peu plus tard : celle des pionniers du rock américain. Des groupes comme les Rolling Stones ou les Yardbird ont bénéficié de cette sorte d’enseigneme­nt par les musiciens américains et en ont fait quelque chose de très personnel qui nous est revenu en pleine poire dans les années soixante. Les sauvages !

R&F : En parlant de sauvages, Steve Jones, ex-Sex Pistols, joue sur cette reprise de “Gimme Some Truth”… Robin Zander : Oui, il nous a invités à son émission de radio, à Los Angeles, et lorsqu’on est allé en studio, on l’a appelé. Il a rappliqué, il a joué, ça n’a pas été plus compliqué que ça. Vous savez, c’est un des guitariste­s les plus sous-estimés de la planète rock’n’roll. C’est comme Ringo Starr, les gens disaient qu’il n’était pas bon à la batterie ! Quelle connerie !

Rien de sexy

R&F : La vague glam rock ?

Robin Zander : On a tous adoré ça ! En vérité, avant de s’appeler Cheap Trick, le groupe faisait des reprises de chansons de David Bowie, que j’ai vu plusieurs fois sur scène aux USA, notamment à l’époque des Spiders From Mars. Dans le temps, nous jouions “Rebel Rebel” que nous avons d’ailleurs récemment enregistré­e pour une émission de radio.

R&F : Qu’est-ce qui, selon vous, dans le monde du rock, a drastiquem­ent changé entre les années 1970 et aujourd’hui ? Robin Zander : Ma réponse va peut-être vous amuser, mais puisqu’on parlait d’influences… Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui,

nous avons des enfants qui sont tous en âge d’écouter de la musique et, pour eux qui ont accès à tout, c’est un peu comme s’ils étaient dans une confiserie. Ils ont tous Internet… Chez nous, il y a des instrument­s qui traînent partout… Les gamins ont eu la possibilit­é de devenir des musiciens et des songwriter­s à leur tour et ne s’en sont pas privés. Mon fils, Robin Taylor Zender, vient d’enregistre­r un album ! Quoi qu’en disent ceux qui prétendent que ce style musical ne rime plus à rien en comparaiso­n avec le rap ou la musique électroniq­ue, le public rock s’est renouvelé. Dans les années 1980/ 1990, on a commencé à voir les enfants de nos fans accompagné­s de leurs parents à nos concerts, et désormais, ce sont les petits-enfants qui rappliquen­t, et ils viennent seuls !

R&F : Le rock ne serait donc pas mort ? Robin Zander : Eh bien non. Et savez-vous quel conseil je donnerais à un groupe qui débute ?

R&F : Allez-y.

Robin Zander : Hey, toi, si tu n’as jamais vu Cheap Trick en live, ramène-toi la prochaine fois où l’on jouera dans ta ville. Et si tu nous as déjà vus, reviens, on a peut-être encore quelques trucs à t’apprendre. Moi, les gamins, j’ai vu Frank Zappa en concert à la sortie de “We’re Only In It For The Money”, dans les années soixante, et je peux vous dire que c’était bien barré. Il y avait même les Turtles aux choeurs (rires)…

R&F : Flo & Eddie !

Robin Zander : Zappa nous a beaucoup influencés et il était engagé sur le plan politique. Je me souviens que ses apparition­s à la télévision terrorisai­ent les bien-pensants.

R&F : Cheap Trick a connu beaucoup de hauts et quelques bas… Si vous deviez revivre tout ça, que changeriez-vous ? Robin Zander : Ma réponse est simple : je ne voudrais rien revivre du tout, mais je ne voudrais surtout pas changer quoi que ce soit. C’est clair ? Oh, une autre chose qui a changé, c’est que les pochettes de disque ont disparu…

R&F : Le vinyle reprend du poil de la bête… Robin Zander : Oui, mais je veux dire, avant, un disque, c’était une oeuvre d’art en soi. Le CD a rapetissé les visuels et le streaming les a fait disparaîtr­e… Avant, l’éducation des musiciens se faisait en lisant les notes de couverture, en décortiqua­nt tout ce qui était écrit… Et, personnell­ement, j’ai acheté des disques à cause de leur emballage, sans savoir ce qu’il y avait à l’intérieur.

R&F : De qui par exemple ? Les Roxy Music, ça ne compte pas.

Robin Zander : Oh, le disque qui me vient à l’esprit n’a rien de sexy ! Il s’agit du second album du Firesign Theatre paru à la fin des années soixante. C’était une troupe de comiques totalement déjantée, et le disque s’appelait “How Can You Be In Two Places At Once When You’re Not Anywhere At All”. Sur la pochette, il y avait Groucho Marx et John Lennon, et je me suis donc dit que je ne pouvais pas laisser ce disque au fond du bac. Vous auriez fait pareil à ma place, non ?

“Steve Jones est un des guitariste­s les plus sous-estimés de la planète rock’n’roll”

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