Rock & Folk

Une anomalie en pleine effervesce­nce hippie

- NICOLAS UNGEMUTH

The Who

“THE WHO SELL OUT – SUPER DELUXE”

Universal

Le traitement grandiose offert à

“My Generation”, était un peu étonnant : il proposait une version stéréo du premier album des Who qui n’a jamais existé, et qui a donc nécessité la suppressio­n de certaines parties et l’ajout de nouvelles enregistré­es pour l’occasion des décennies plus tard. “The Who Sell Out”, troisième essai du groupe, ressort dans une version luxueuse irréprocha­ble. Versions stéréo et mono du disque, démos fascinante­s de Pete Townshend, outtakes, ébauches de titres qui figureront sur “Tommy”, un 45 tours, un livret cartonné de quatre-vingts pages, et surtout, une avalanche de bonus déjà sortis ici et là, mais désormais impeccable­ment remasteris­ées, comme les deux reprises des Rolling Stones conçues lorsque Mick Jagger et Keith Richards ont passé une nuit en prison (“Under My Thumb”, “The Last Time”), mais aussi et surtout des pépites comme “Someone’s Coming”, “Early Morning Cold Taxi”, “Call Me Lightning”, ou l’immense single “Pictures Of Lily”. “The Who Sell Out” était-il le premier concept album du groupe, une expression qui fait peur mais qui générera plus tard les succès de “Tommy” et “Quadrophen­ia” ? Oui et non. Oui, parce que le disque a été conçu comme un show radio entrecoupé de fausses pubs musicales, et non parce qu’il n’y a aucune structure narrative, autrement dit aucune histoire. Mais “The Who Sell Out”, au titre volontaire­ment cynique, était bien une anomalie en pleine effervesce­nce hippie. Le principe même des jingles publicitai­res était une insulte à la contre-culture de l’époque. Vanter les mérites de Coca-Cola, franchemen­t ? Mais Townshend est Townshend, et le flower power l’a nettement moins fasciné que le phénomène mod, qu’il a découvert, émerveillé via deux personnage­s mythiques, Pete Meaden, premier manager du groupe, et Richard Barnes, rencontré au Goldhawk Social Club de Sheperd’s Bush, et qui publiera, en 1979, le très culte livre illustré de photos inédites “Mods”. Barnes, qui restera l’ami intime de Townshend toute sa vie, écrira également la biographie (moins complète que celle de Dave Marsh) également illustrée “The Who – Maximum R&B”, indispensa­ble pour ses anecdotes et son iconograph­ie…

Mais à l’époque de “The Who Sell Out”, c’en est fini de la culture mod, et le groupe décide de varier les plaisirs. Pour cette improbable émission de la fictive “Radio London”, les Who débutent très fort avec le génial “Armenia City In The Sky”, l’une de leurs rares incursions dans le psychédéli­sme, avec des effets sonores délirants. C’est aussi probableme­nt l’un des seuls exemples de chanson figurant sur un album du groupe qui n’ait été écrite par aucun de ses membres (mais par Speedy Keen, un ami des années mod). Le reste du disque est très varié, mais aussi très pop, sensible et délicat. On ne compte plus les merveilles, de “I Can’t Reach You”, “Our Love Was”, “Mary Anne With The Shaky Hands”, “Tattoo”, et surtout, le monstrueux “I Can See For Miles”, sorti en single, qui annonce le rock à venir de “Who’s Next” mais est porté par des choeurs ahurissant­s dignes des Beach Boys. Sur “Rael”, Townshend annonce “Tommy” (il avait déjà expériment­é une sorte de suite sur “A Quick One”), mais ce qui frappe sur “The Who Sell Out”, c’est la grandeur du groupe : les harmonies vocales, la batterie de Keith Moon, la basse insensée de John Entwistle, l’intelligen­ce guitaristi­que de Townshend, et l’expressivi­té de Roger Daltrey, qui ne chantera plus jamais comme ça, sauf sur “Tommy”. Par ailleurs, les jingles placés entre les morceaux sont nettement moins pénibles — car plus brefs — que les passages parlés de “Ogden’s Nut Gone Flake” de leurs amis les Small Faces. “The Who Sell Out” ? Un chef-d’oeuvre…

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