R Dean Taylor
“I THINK, THEREFORE I AM”
“GOTTA SEE JANE” ? UNE DES PLUS GRANDES CHANSONS DE TOUS LES TEMPS. Ce sont Mark E Smith de The Fall, Martha Reeves, I Nomadi, The Messengers, Andy Scott de The Sweet, entre autres, qui le clament — tous ayant repris ce chef-d’oeuvre. Pour The Fall, ce n’est pas une première : le groupe a déjà sorti en 1987 une autre cover de R Dean Taylor, “There’s A Ghost In My House” — pour la première fois de sa vie, Mark E Smith casant un morceau dans les charts. Ce qui n’a pas été le cas des originaux : quand Taylor les sort sous son nom en 1967 et 1968, les deux bombes font pschitt aux EtatsUnis — il faudra attendre 1974 pour que “There’s A Ghost In My House” soit réhabilitée comme pépite northern soul et squatte les classements anglais. Né en 1939 à Toronto, R Dean Taylor enregistre au début des années soixante plusieurs singles qui l’amènent au même constat que, plus tard, Neil Young et Leonard Cohen : ce n’est pas au Canada que ça se passe, mais aux USA. Il émigre donc à New York, puis en 1964 à Detroit, où il auditionne pour Motown. Brian Holland et Lamont Dozier voient son potentiel, Richard Dean se met au boulot, en tandem avec Eddie Holland. “Eddie pouvait aussi brillamment écrire du point de vue féminin que masculin, il m’a beaucoup appris sur l’écriture. Pour la composition et la production, voir Brian Holland et Dozier à l’oeuvre, c’était fabuleux. Je me suis incrusté au tambourin sur leurs sessions, participant finalement, au côté des Funk Brothers, à des classiques comme ‘Standing In The Shadows of Love’ et ‘Reach Out’… L’enregistrement qui m’a le plus soufflé, c’est ‘Where Did Our Love Go’ : c’était si novateur, ambitieux !” Voilà le Canadien écrivant avec ses nouveaux camarades des joyaux pour les Supremes, Temptations, Four Tops et Marvelettes, signant parallèlement (sur des sous-divisions de Motown, VIP et Rare Earth) plusieurs singles solo — “There’s A Ghost In My House” avec l’équipe Holland-Dozier, “Gotta See Jane” avec Holland-Miller. Les répercussions ? Misérables par rapport aux hits des stars maison. Jusqu’à son septième 45 tours, “Indiana Wants Me”, en 1970 : un carton — numéro 5 aux Etats-Unis, numéro 2 au Canada et en Angleterre. Taylor l’a écrit, composé, produit et chanté seul, après avoir vu le film “Bonnie And Clyde”. La chanson raconte la fuite d’un homme qui a flingué l’amant de sa compagne, elle débute par des sirènes de police et se termine par une fusillade, avec une voix de flic ordonnant : “This is the police, give yourself up, you are surrounded !” — des effets sonores très impressionnants à l’époque : certaines radios enlèvent ces bruitages suite à des accidents, les automobilistes croyant à une véritable intervention policière. Aux arrangements : David Van DePitte, qui s’en va ensuite faire le chef d’orchestre sur “What’s Going On”. Chanté par les Supremes, “Indiana Wants Me” aurait été un tube soul ; avec la voix du Canadien, c’est un hit pop, plus proche de The Left Banke que de Stevie Wonder, R Dean Taylor s’imposant accessoirement comme le premier Blanc de Motown à vendre plus d’un million d’exemplaires.
Suite à ce succès, place au 33 tours. Sur “I Think, Therefore I Am”, on retrouve “Indiana Wants Me” (qui sera le titre de l’album quand Tamla le sortira en Angleterre), ainsi que ce chef-d’oeuvre qu’est “Gotta See Jane” — une composition aussi démentielle que le “Days Of Pearly Spencer” de David McWilliams. Tonalité de l’ensemble : baroquepop. Avec quatre effluves différents, définis par les reprises du disque — Beatles (“Two Of Us”), James Taylor (“Fire And Rain”), Marvin Gaye (“Gonna Give Her All The Love I’ve Got”) et Kris Kristofferson (“Sunday Morning Coming Down”). Toutes les chansons originales sont d’un niveau élevé, avec mention spéciale à “Back Street”, comme du Four Tops revu par Honeybus — sublime. L’album n’a aucun succès. Sûrement parce qu’il ne rentre dans aucune case, trop pop pour la soul, pas assez psychédélique pour la pop, trop gentil pour le rock, pas assez pleurnichard pour le folk, trop pied-tendre pour la country… R Dean enchaîne, en 1972, avec le single “Shadow”, qu’aurait pu composer Lee Hazlewood : nouveau sommet, nouveau fiasco. La division rock et blanche de Motown, Rare Earth, se casse la gueule, Taylor signe chez Polydor pour un second album, “LA Sunset” (1975), qui, malgré quelques réussites, manque d’inspiration — plus proche de Neil Diamond que de Mickey Newbury. Le compositeur va peu à peu disparaître de la carte, ne réapparaissant que pour reprocher à Motown d’avoir promu ses disques par-dessus la jambe. Il a son explication quant à l’échec commercial de “I Think, Therefore I Am”. Sur la pochette, réalisée par l’équipe artistique de Motown, il pose avec sa guitare acoustique et les cinq enfants de Barney Ales, ponte du label. “Toutes mes admiratrices ont cru que c’était mes gosses, elles ont fui et l’album s’est ramassé.”
Première parution : décembre 1970