Rock & Folk

Un truc de ouf. Ou de vieux

- PAR JERôME SOLIGNY

“David Bowie Is The Man Who Fell To Earth” Nacho’s Videos

Oui, Internet est un outil formidable et, oui, la plupart des gens qui l’utilisent en sont indignes. Oui, les réseaux sociaux pourraient être cool et oui, ils sont, principale­ment, un dépotoir sans fond alimenté par des gens haineux, sous-cultivés, des régleurs de comptes pathétique­s, des petits juges et des grandes gueules qui croient que la notoriété s’estime à l’aune des répercussi­ons virtuelles, des pouces en l’air comme autant de microbranl­ettes. Ceci déploré, il existe des individus sur cette planète qui profitent du Web pour faire de jolies choses et dont les posts sur les réseaux sociaux, méritent de se propager. Qui agissent gracieusem­ent. En donnant du plaisir aux autres. En apportant un peu de joie à une époque difficile et sournoise. L’altruisme comme valeur refuge. Un truc de ouf. Ou de vieux. Le nouveau nom de cette rubrique lui va décidément bien puisque le héros du mois est Nacho, Britanniqu­e d’origine, mais installé à Hong Kong. Nacho, c’est un vidéaste, notamment du Net : un mont(r)eur d’images et de séquences empruntées à droite et à gauche, principale­ment sur la Toile, qu’il améliore, réorganise, avec soin et talent, sur le plan visuel donc, mais aussi sonore. Nacho, comme en attestent les plus de deux cents vidéos qu’il a déjà postées, est, quelque part, une sorte de remixeur audiovisue­l qui ne déforme pas le contenu d’origine, ne trahit pas les intentions premières de ceux dont il manipule des séquences que, pour certaines, le temps avait oubliées. Au contraire, il met leur art en valeur comme, par exemple, dans ce clip des Stooges interpréta­nt “I Feel Alright” au Goose Lake Festival, dans le Michigan en 1970. Les images de qualité d’Iggy Pop en action avec son groupe sont rares, celles-ci sont remarquabl­ement agencées. Roxy Music, Talking Heads, Joni Mitchell, Echo & The Bunnymen et Joy Division comptent parmi les autres artistes de la musique dont Nacho a dynamisé des prestation­s live, mais son dada, incontesta­blement, c’est David Bowie. Fan des années 1970 du chanteur, il a décroché après “Scary Monsters (And Super Creeps)” et s’est repris de passion pour lui à la sortie de “The Next Day”, en 2013. L’année de sa disparitio­n, Nacho a décidé de consacrer des centaines d’heures de son temps à la réfection de clips de Bowie et, en 2017, il s’est attelé à la confection d’une sorte de documentai­re d’une soixantain­e de minutes sur “The Man Who Fell To Earth”, l’énigmatiqu­e long-métrage de Nicolas Roeg paru en 1976, dans lequel l’Anglais tenait le rôle principal. Diffusé, à l’origine sur Vimeo, “David Bowie Is The Man Who Fell To Earth” a été vu des centaines de milliers de fois avant d’en être retiré. Au lieu de le reposter ailleurs précipitam­ment, Nacho a décidé de l’améliorer, et c’est cette version qui est présentée ici (visible sur nachosvide­os.com et les différents comptes s’y rapportant). Bien que sans voix off ou narration classique, son documentai­re, agencé à partir d’extraits du film, du commentair­e audio de Bowie et Roeg du début des années 1990, et aussi d’une cinquantai­ne de sources différente­s

(il y a même là des bribes d’interviews françaises réalisées par Yves Mourousi et Danièle Gilbert !), est un must. Car au-delà de ce qu’on apprend sur cette oeuvre assimilée, un peu trop vite, à de la science-fiction, c’est la manière dont David Bowie s’est investi dedans qui est remarquabl­ement mise en exergue. Il est rappelé, ici, que le musicien, dans les années soixante-dix, se trimballai­t avec un container de livres, et que les sentiments d’isolement et d’aliénation sont à la base de son vocabulair­e artistique. Nicolas Roeg revient sur le rendez-vous presque manqué à New York avec son acteur qui, avant de le rencontrer, n’avait pas lu le script. La réflexion du réalisateu­r qui qualifie David Bowie/ Thomas Jerome Newton d’ “extraterre­stre qui ne ressemble pas à un extraterre­stre” est frappée au coin du très bon sens, et la fameuse séquence de la mouche dans le lait (au sens propre), tirée de “Cracked Actor” (le documentai­re de Alan Yentob sur la tournée Diamond Dogs qui a convaincu Roeg d’embaucher Bowie) fait toujours son petit effet. Le passage de l’artiste, maigre comme un coucou tombé de son nid, aux Grammy Awards en 1975, n’est pas moins jouissif, surtout lorsque, pour lire, il met ses lunettes de soleil. Ceci, après avoir salué les femmes, les hommes et… les autres. Les propos de Candy Clark, alias Mary-Lou, la Terrienne avec qui Newton a une liaison dans le film, sont touchants et au moins aussi sincères que ceux de David Bowie lorsqu’il se décrit comme un menteur chronique. Clark insiste lourdement sur le fait qu’elle le trouvait sublimemen­t beau et raconte, images à l’appui, comment, le temps d’une scène, elle a été sa doublure. Plus loin, Bowie prétend qu’il n’a jamais été très doué pour laisser transparaî­tre ses émotions et que, pour le rôle, ce défaut était une qualité. Roeg, lui, souligne que “le plus difficile sur le plan de la direction d’acteur a été de ne pas l’influencer”. Oui, la réalité de la vie du David Bowie des années 1970 était en majeure partie ce qu’on en voyait à l’écran. Le grand et le petit. Et si son corps exprimait des choses, ses mains et son regard aussi. Dans les dernières minutes du documentai­re, Bowie rappelle que le cinéaste lui avait assuré que Thomas Jerome Newton l’habiterait pendant longtemps, et il ne s’était pas trompé : son look, durant la tournée Isolar 2 de 1976 (le Station To Station Tour) était en partie inspiré de celui de son personnage dans le film, et des photograph­ies de lui en Newton figureront sur plusieurs pochettes de

33 et 45 tours à paraître, et évidemment “Low” dont certains instrument­aux de la face B s’apparenten­t, peu ou prou, à la musique que David Bowie a proposée, sans succès, pour “The Man Who Fell To Earth”. Ce détail de l’histoire n’est qu’effleuré et aucun renvoi n’est effectué vers “Lazarus”, la pièce musicale, sorte de suite du film (et du roman de Walter Tevis dont il avait acquis les droits), dans laquelle David Bowie a jeté ses dernières forces en 2015. A ses yeux, son coeur et certaineme­nt son âme, elle revêtait autant d’importance, sinon plus, que “Blackstar”.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France