Rock & Folk

Mike Oldfield, Tubular Bells Et Au-Delà

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FRéDéRIC DELâGE Le Mot Et Le Reste

Avouons-le, “Tubular Bells” n’était pas au premier rang de nos grands souvenirs de 1973. Le nom nous évoquait bien un truc mais pour tout dire, un truc chiant, ceci expliquant sans doute cette amnésie. Mais, c’est vrai, on était si petits alors, on portait encore des appareils dentaires et des cartables dans le dos, qu’est-ce qu’on savait, hein, de la musique ? Eh bien, près de cinquante ans plus tard, à l’occasion de la sortie du livre de Frédéric Delâge consacré à “Mike Oldfield, Tubular Bells Et Au-Delà”, on est bien obligés de reconnaîtr­e à la réécoute qu’on avait hélas raison et que c’est non seulement chiant mais presque insupporta­ble à écouter aujourd’hui, question de production peut-être.

“La question est de savoir pourquoi une pièce aussi joliment composée s’avère si captivante, et en quoi il faudrait la considérer comme de la musique rock ?” se demandait, à la sortie de l’album, un critique rock qui résume finalement ainsi les deux vrais débats autour de l’oeuvre du torturé Mike Oldfield. Est-ce captivant ? Est-ce du rock ? La réponse à ces interrogat­ions dépend bien sûr de l’interlocut­eur et de l’époque, Oldfield, avec d’autres, a véritablem­ent inventé/ fait grandir le rock progressif sans que, avec le recul, cela fasse forcément de son oeuvre, pourtant alors révolution­naire, un climax de la création artistique pour des siècles et des siècles. Pour les autres questions — le rock progressif est-il du rock, la musique planante est-elle du rock, le rock est-il un rythme, un rock sans paroles et sans rythme est-il du rock —, le récit détaillé de Delâge montre bien que pour les dieux du rock de l’époque, Oldfield était bien l’un d’entre eux, quoique plus discrèteme­nt. Paralysé par des angoisses terrifiant­es, le très jeune Oldfield — dix-huit ans à ses débuts — a en effet longtemps été incapable de faire des tournées, et préférait vivre planqué dans la cambrousse à faire voler des avions téléguidés que mener la carrière de superstar que le nombre astronomiq­ue de ses ventes de disques — quinze millions pour “Tubular Bells”, en gros — aurait dû lui assurer. Ce n’est que longtemps après le succès planétaire de l’album, succès attisé par l’immense retentisse­ment du film “L’Exorciste” et de sa bande-son où triomphait “Tubular Bells”, que Oldfield a réussi à surmonter ses peurs et a enfin commencé une carrière presque classique de musicien avec tournées, Ibiza, Monaco, embrouille­s avec le producteur — il dit : “Fuck you” à Richard Branson en morse sur un album

— et Noel Gallagher — à qui il a vendu une villa qui s’écroulait —, errances capillaire­s et nombreuse descendanc­e. Que l’on aime ou pas Oldfield, que l’on trouve ou pas que c’est un peu vieilli, il a incontesta­blement ouvert la voie à la musique électroniq­ue qui règne aujourd’hui, et c’est bien “Tubular Bells” que Danny Boyle choisit en pierre angulaire de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres en 2012, preuve s’il en est de son énorme place patrimonia­le. Il était donc temps que Delâge lui rende ici sa juste place.

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