Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

MON MOIS A MOI

- PAR BERTRAND BURGALAT

Sainte-Maxime, le 20 mars, villa Home of the Blues. Le soleil d’hiver sur le ciment de la piscine vide, des collines, des cyprès, les pins parasols, une Côte d’Azur qui pourrait ressembler à Los Angeles. Il est seize heures. Dans la chambre, le téléphone joue la BO de “Round Midnight”. C’est “Chan’s Song”, les accords Hancock, sa mélodie tristement joyeuse et la voix irréelle de Bobby McFerrin. Elle explose, nonobstant le son de transistor, couvre les signaux du lit médicalisé, perfuse tout, jusqu’à celui qui a engendré ce disque et tant d’autres réalisatio­ns. Un homme souffre et va bientôt partir. Son amour du cinéma, de la musique, de la vie, ce cocktail de talent, d’intelligen­ce, de curiosité, d’admiration, de disponibil­ité et de gentilless­e irradiaien­t. Merci Big Bert, Tatave, Bertrand Tavernier. Ce n’était pas seulement un cinéphile engagé, comme ceux qui l’avaient pris de haut ont pu l’écrire pour se rassurer, c’était un grand cinéaste, et un des rares en activité qui savaient utiliser la musique. Scorsese lui a rendu l’hommage qui leur déchirait la gueule. “Je m’en souviendra­i quand je serai mort” (B.T., après une bonne soirée). Il suffit de regarder la littératur­e et les magazines qui traînent dans les studios pour savoir où on met les pieds. Comme chez le médecin ou l’avocat (s’il y a des catalogues de commissair­espriseurs et le magazine Propriétés du Figaro dans la salle d’attente, on sait qu’on va se faire dépouiller), c’est un excellent baromètre. Chez Stéphane Lumbroso, on trouve toujours des bouquins épatants au-dessus du rack de compresseu­rs, je les feuillette pendant qu’il fait sa magie sur la SSL. Là, celui de Dominique BlancFranc­ard (“It’s A Teenager Dream, Itinéraire D’Un Ingénieur Du Son”, avec Olivier Schmitt, Le Mot Et Le Reste, 23€). C’est une mine, et pas seulement pour Magne, Hérouville, Pink Floyd, Bolan, Visconti et Elton John. La première fois que je l’ai rencontré, en 1991, j’accompagna­is Marie-Dominique Lelièvre, qui préparait son texte définitif sur Lucien Ginzburg (“Gainsbourg Sans Filtre”, Flammarion). Il était onze heures du matin. A six heures j’avais terminé avec Gilles Martin, au Studio du Manoir dans les Landes, le mixage de “Fleur De Métal”, de Jad Wio, pris le premier vol Air Inter à Biarritz et débarqué chez lui, sans oser lui dire que j’essayais de faire des disques. Tout ce qu’il racontait, notamment sur la psychologi­e de l’enregistre­ment, était tellement passionnan­t que je me désolais de ne pas l’avoir entendu plus tôt. C’est pareil avec ce livre. Sur le site Buzz On Web, justement, une longue interview de Bortek, de Jad Wio. Brillant, lucide, Denis raconte son parcours, le Maroc, la découverte de Rock&Folk en 1973, le Rose Bonbon et la rudesse d’un temps où les locaux de répétition et les subvention­s n’existaient pas. Merci à lui et à Kbye de m’avoir fait confiance. Chaque fois qu’il y a eu dans ce pays des groupes comme eux qui avaient la flamme ça n’a pas été simple, certains rock-critics locaux s’acharnant à décréter sans nuance qu’il ne pouvait pas y avoir de bon rock en France. C’est aussi con que de dire qu’il ne peut exister de bonne critique rock ici. Cette brève de comptoir, souvent entendue dans l’espace pro des gros festivals, éructée par des patachons qui ont passé leur vie active à recopier le New Musical Express en voyage de presse, n’explique pas tout, mais elle a grandement contribué à marginalis­er les plus émérites, d’Alan Jack Civilizati­on (avec Claude Olmos) aux Dragons en passant par Vigon, Noël Deschamps (“Pour Le Pied”, son adaptation du “Bird Doggin’” de Gene Vincent…), Bijou, Jad Wio, Oui Oui, La Souris Déglinguée ou Little Bob Story. Little Bob sort un nouvel album nickel avec ses Blues Bastards, “We Need Hope”, chez Verycords, qui a également publié la superbe compilatio­n “High Times 76-88” (trente-quatre bombes et le DVD de “Rockin’ Class Hero”, super documentai­re qui lui est consacré). Tout le monde l’aime. Récoltant aujourd’hui ce qu’il a semé pendant ces décennies où il a gardé la ligne, il mérite ce triomphe et, tel Vince Taylor sur son premier 25-cm, l’attestatio­n ultime : Le rock, c’est ça ! Citation du mois : Jean-Michel Defaye, quatre-vingt-huit ans, compositeu­r, arrangeur (Ferré, Sarde) à Benoît Duteurtre dans son excellente émission sur France Musique, qui lui fait remarquer l’influence de Stravinsky sur ses orchestrat­ions : “Il vaut mieux ressembler à Stravinsky qu’à Landru.” “Je suis seule dans ma chambre vide Dans ma bouche un goût acide Dans mon coeur un mal affreux

Et du noir autour de mes yeux” Isabelle Huppert, “Dans La Chambre Vide”, paroles Bertrand Tavernier, musique Philippe Sarde.

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