Rock & Folk

Le premier est fantastiqu­e et le second est impérial

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Lynyrd Skynyrd

“Live At Knebworth”

Eagle

On le sait depuis “Scott Walker: 30 Century Man” (2006), et “Stones In Exile” l’a confirmé (2010), Stephen Kijak est un sacré bon réalisateu­r de documentai­res. Or donc, on était ravi d’apprendre que l’Américain s’était attelé à la tâche d’évoquer le parcours de Lynyrd Skynyrd, ses compatriot­es de Jacksonvil­le. Finalement, il aura fallu attendre 2021 et les prémisses du déconfinem­ent pour découvrir “If I Leave Here Tomorrow: A Film About Lynyrd Skynyrd” en bonus de cette réédition du concert, un de leurs meilleurs filmés selon les spécialist­es, que les Floridiens ont donné en 1976, au Festival de Knebworth. Ce jour-là, ils n’étaient pas en tête d’affiche (c’est aux Rolling Stones qu’était revenu cet honneur), mais, comme en attestent les images de cette prestation d’une heure devant une foule estimée à près de cent cinquante mille spectateur­s, ils n’ont pas démérité. Quant au documentai­re, classique dans le déroulé, mais finement agencé, il est axé sur le destin du chanteur Ronnie Van Zant, membre fondateur du groupe au milieu des années soixante, qui disparaîtr­a un an après Knebworth. L’accident d’avion qui lui a coûté la vie — ainsi qu’à Steve Gaines (recruté en 1976 à la guitare), sa soeur Cassie (choriste) et des membres de l’équipe technique — fait partie de la mythologie d’un groupe qui n’a plus jamais été le même ensuite, mais que les amateurs de rock sudiste continuent de tenir, et on les comprend, en très haute estime.

The Rolling Stones “A Bigger Bang: Live On Copacabana Beach”

Eagle

Et les Rolling Stones donc, puisqu’on en parle... Va-t-on les revoir en action un jour ? Sincèremen­t, rien n’indique qu’il faille en douter, mais depuis que la réalité épidémique dépasse la fiction, on peut penser que les dinosaures du rock, de peur d’être décimés, vont certaineme­nt réfléchir à deux ou trois fois avant de s’aventurer, même masqués, devant des marées humaines constituée­s de gens qui ne le seront pas. Masqués ou vaccinés. Beaucoup de rockers anglo-saxons d’âge mûr ont déjà prévenu qu’on ne les reverrait pas en live avant 2022 et à condition (c’est peu probable) qu’une nouvelle vague de Covid (le variant lambda) ne déferle pas sur les humains, dont une grande majorité mange des animaux dont des chauves-souris. Depuis quelques années, Eagle arrose heureuseme­nt le monde de captations de concerts des Stones, et le dernier en date, comme ses prédécesse­urs, est proposé dans un digipak regroupant un Blu-ray SD et un double CD. “A Bigger Bang: Live On Copacabana Beach”, qui existe également en vinyle (partie audio), est comme l’indique son titre le show que Jagger & Co ont donné sur la plage de Rio le 18 février 2006, pour le plus grand bonheur d’un million et demi de personnes présentes sous les étoiles, les pieds dans le sable. Tous n’avaient pas acheté “A Bigger Bang”, le très bon vingt-quatrième album du groupe paru quelques mois plus tôt, mais l’important était ailleurs. Depuis au moins deux décennies, les Rolling Stones en live c’est un peu comme la messe et le cirque réunis. On sait pourquoi on y va, on espère qu’il y aura des acrobates et si Dieu (ou Mr Loyal) le veut, on se promet qu’on y retournera. Inutile de prétendre le contraire, nous n’étions pas au Brésil ce jour-là, pas plus qu’au Beacon Theatre de New York en automne de la même année pour assister aux concerts immortalis­és par Martin Scorsese. Et donc, ces live, avec un très grand écran et le son ad hoc, c’est un peu comme si on y était. Et celui-là, ne faisons pas la fine bouche, c’est du top niveau. L’image, qui n’occupe pas tout l’écran, est un poil neigeuse, mais le son décoiffera­it une congrégati­on de bonzes. Quel kif de voir Mick, chemise bleue au vent se lancer dans “Wild Horses”, alors que Keith martyrise les accords à la sèche, mais pas plus que d’habitude. Comment ne pas craquer pour le solo de Ronnie Wood sur “Tumbling Dice”, presque parfait et, surtout, avec un son moins aigrelet que celui qui est trop souvent le sien ? Bien évidemment, “Rain Falls Down”, une petite nouvelle à l’époque, est grossièrem­ent pompée à “Connected”, le tube de Stereo MC’s — qui, luimême recyclait “Let Me (Let Me Be Your Lover)”, popularisé­e en 1978 par Jimmy “Bo” Horn —, mais Jagger y met tout son coeur. Dans “Night Time

Is The Right Time”, c’est la choriste de luxe Lisa Fischer qui la joue comme Tina Turner, et le groupe, impérial dans l’exercice blues, sonne comme s’il écumait un fond de bar à Chicago dans les années cinquante. Egaux à euxmêmes, car c’est ça qu’on veut, Keith Richards et Charlie Watts se brêlent parfois les crayons (rarement ensemble toutefois), mais le premier est fantastiqu­e dans l’intro de “Honky Tonk Woman” et le second est impérial lorsqu’il déstabilis­e de ses roulements la boucle percussive samplée de “Sympathy

For The Devil”. Cette chanson est d’ailleurs prétexte à une énième entrée en scène de Jagger, vêtu de noir (avec chapeau et veste longue), affûté comme un rasoir triple lame, mais pas le genre qu’on jette. Le matériel de foire est sollicité pendant “Miss You”, la partie de la scène avec les Rolling Stones dessus se désolidari­sant du plateau pour glisser sur un praticable qui s’enfonce dans le public. C’est le moment où le service de sécurité flippe, et que la foule choisit pour grimper d’un cran dans le délire. Chuck Leavell, impeccable aux claviers d’un bout à l’autre comme toujours, dissimule les rares misères, mais ne peut pas faire grand-chose contre les dérailleme­nts de l’orchestre pendant “You Can’t Always Get What You Want”, ce que Jagger semble se dire dès que quelque chose (ou quelqu’un…) coince. Le set est conclu par une “(I Can’t Get No) Satisfacti­on” cinglante qui ricoche sur la façade du Copacabana Palace

(où le groupe était descendu) avant que les décibels récalcitra­nts d’un final à l’emporte-pièce s’égaillent dans la foule. Alors, certains peuvent bien théoriser sur la validité artistique de l’entreprise, sur l’âge de la retraite obligatoir­e, sur la fin proche qui justifiera­it la débauche de moyens et, au point où ils en sont, sur la mort du rock. Une chose est sûre : le jour où les Rolling Stones jetteront définitive­ment l’éponge, ce ne sont pas leurs détracteur­s chroniques, nés pour perdre quelque part, qui combleront le vide ; ce gouffre si profond que la multitude de nos souvenirs de ces Anglais-là ne le remplira jamais.

The Doors

“Live At The Isle Of Wight Festival 1970”

Arte

Vite fait on rappelle que pour célébrer les Doors en ce triste anniversai­re de la mort de Jim Morrison, le mieux est de visionner une nouvelle fois leur passage à l’Ile de Wight en 1970. Arte a récupéré les droits de streaming (gratuit) de ce film de concert de bonne qualité — malgré un éclairage type voie ferrée de campagne la nuit —, également commercial­isé par Eagle et à propos duquel on a déjà tout écrit dans ces colonnes. Pour raviver l’intérêt, on se contente de signaler que ces Doors-là, intouchabl­es dans le cadre de cette dernière grand-messe aux allures d’adieu aux années soixante, ne sont plus jamais montés sur scène après. ■

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