Rock & Folk

La plupart vendaient de l’électromén­ager

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Disquaires, Une Histoire

FRANCIS DORDOR

GM Editions

Si l’on voulait démontrer que l’invention du rock, contrairem­ent aux apparences, s’est aussi construite loin de la paillette des scènes et des studios, l’emballant livre de Francis Dordor, “Disquaires, Une Histoire” serait la pierre de fondation du postulat. Nos lecteurs le savent, tous les musiciens qu’on admire ont commencé par écumer les bacs des disquaires locaux et chaque boomer, pardon, lecteur, y a autrefois laissé son argent de poche, et une bonne partie de son adolescenc­e. Bien sûr, ce monde-là a plus ou moins disparu pour les plus jeunes qui accèdent maintenant à toute la musique en un seul clic mais nous, on sait ce qu’on doit à ces réels ouvreurs de passages quasi secrets qui, sous leurs costumes de boutiquier­s, ont littéralem­ent accompagné dans l’ombre les musiciens qu’ils aimaient — ou vendaient à la pelle — et sans lesquels nous tous, nous ne serions pas ici, tout simplement. Pour raconter la fantastiqu­e quoique discrète épopée des disquaires, notre excellent et aguerri confrère Dordor procède par ordre et nous raconte donc aussi la naissance concomitan­te de l’industrie du disque et des premiers revendeurs de galettes qui, pour la plupart, vendaient de l’électromén­ager avant de se spécialise­r, par goût ou bon sens commercial. Ce fut bien là que se fit l’éducation musicale des premières génération­s rock, les concerts étaient rares, les disques chers, et c’est donc en traînant leurs adolescenc­es fauchées dans ces magasins que les apprentis-musiciens découvrire­nt mille influences et pistes musicales qu’ils exploitère­nt ensuite dans leur musique. Peut-on pour autant dire que sans Brian Epstein qui commença par vendre des disques dans la boutique familiale avant de devenir le manager qui les mit sur orbite, pas de Beatles ? Non, sûrement pas, mais si les Beatles n’avaient pas écouté des centaines de disques dans son magasin, qui peut dire ce que leur musique aurait perdu sans cet apport ? Qui peut dire aussi ce qu’il serait advenu des vendeurs de disques si le rock n’était pas venu se mêler de leurs ventes ? Multitude de noms mythiques défilent naturellem­ent dans ces pages, les plus grands musiciens, les plus influents disquaires, les musiciens eux-mêmes vendant des disques à leurs débuts pour apaiser leur soif de nouveautés comme David Bowie ou Elton John l’ont fait, et les disquaires devenant eux parfois patrons de labels, tout ce beau petit monde se mélange ici comme ils l’étaient dans leurs carrières. Les Français sont bien présents dans l’exhaustif ouvrage, Marc Zermati, Etienne Daho, New Rose, l’Open Market, Little Bob, ici aussi des disquaires de légende ont joué un rôle majeur, bouleversa­nt les oreilles des Parisiens comme celles des provinciau­x à Brest, Bordeaux, Le Havre ou Toulouse — coucou mon Nazeyrolla­s qui existe toujours, d’apparence inchangée, à Biarritz — déclenchan­t les carrières musicales que l’on connaît et quelques vraies réussites commercial­es ou, mieux encore, artistique­s. Impossible tout de même aujourd’hui de lire ce livre sans remarquer l’effrayante et quasi totale absence des femmes dans tout ce bazar. Ne vous méprenez pas, Dordor n’y est pour rien, les rares femmes du binz sont bien dans son bouquin, mais le rock est depuis ses débuts un sport essentiell­ement masculin et les femmes n’ont eu, sauf rares exceptions, pas plus de place dans cette histoire musicale-là que dans la grande, comme en est donc fait ici, en creux, l’éclatante démonstrat­ion. C’est vrai, on n’a quasiment jamais vu de filles passer leurs vacances à l’autre bout du monde à chasser les trésors des bacs, très peu de femmes comparer la taille de leur collection de vinyles mis sous pochettes protectric­es ou hanter obsessionn­ellement les foires de vieux papiers et par conséquent, on en vient à se demander quelle est finalement la part de virilité en jeu sous-jacent dans ces collection­nites et ces obsessions si masculines mais bon, on juge pas, hein, that’s life au vingtième siècle. Mais on est au vingt-et-unième, heureuseme­nt la société change et c’est aussi pour ça que ce précieux témoignage d’un monde presque disparu est indispensa­ble et le juste rappel que, hé ouais, ce sont bien les anonymes qui ont fait la vraie histoire du rock, la nôtre.

Notre Temps C’est Maintenant,

Une Farandole De Chansons De Jonathan Richman

JC BROUCHARD

Vivonzeure­ux

Question allumé excentriqu­e habité de l’intérieur, on peut dire qu’on en a vu passer, et du modèle de compétitio­n. Et pourtant Jonathan Richman tient une place spéciale dans nos coeurs blasés mais, malgré tout, charmés par cette rare ingénuité et tant d’angélique candeur. Même si vous ne croyez pas connaître Jonathan Richman, il y a des chances pour que vous ayez croisé son “Roadrunner” proto-punk fonçant avec les Modern Lovers ou repris par les Sex Pistols, son reggae égyptien ou son insolite prestation de choeur grec dans “Mary A Tout Prix”. Ce grand enfant, dans le meilleur sens du terme, mène depuis plus de quarante ans une carrière aussi singulière que lui dans un discret never ending tour à la Dylan, mais pré-électrique. Depuis ses débuts où il traînait à New York avec la bande d’Andy Warhol, il a toujours involontai­rement cultivé un style unique et un ton naïf et premier degré plus subtil qu’il n’en a l’air. Pour autant, savoir ce qui se passe dans la tête de l’auteur de “Cold Pizza” ou “I Was Dancing In The Lesbian Bar” est à peu près aussi complexe que la discograph­ie de ce gentil farfelu, dont les disques sont peu réédités, jamais compilés, qui en plus n’enregistre pas toujours les titres joués sur scène ou en change les paroles, ce qui laisse pirates ou vidéos pourries comme seuls recours des fans en manque. L’auteur Jean-Christophe Brouchard, dit Pol Dodu, s’est penché sur l’oeuvre charmante et drôle du ouistiti et nous propose, dans son livre “Notre Temps, C’est Maintenant, Une Farandole De Chansons De Jonathan Richman” de nous en extraire, en trente titres, la fantaisist­e moelle. Précisons que ce fan depuis quarante ans avait même organisé des concerts de Richman à Reims pour enfin le voir en concert, et vous comprendre­z que ça ne rigole pas, Brouchard connaît son sujet intimement et son livre le prouve joyeusemen­t. Belle introducti­on pour ceux qui auraient raté le phénomène, chouette lecture et rappel pour les déjà contaminés, ce vol dans le mystère Richman est aussi plaisant que l’aimable et intrigant musicien. ■

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